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La survie du Mexique se joue avec la bataille de l’eau

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Après trente ans d’implosion politique et face à la sécheresse, la survie du Mexique se joue avec la bataille de l’eau

par Dennis Small

Le sud-ouest des Etats-Unis et le nord du Mexique sont actuellement ravagés par la pire sécheresse en 70 ans. Jusqu’à 85 % de la production agricole des Etats-Unis est touchée, ce chiffre atteignant deux hectares sur trois au Mexique. La production mexicaine de maïs, primordiale vu les habitudes alimentaires des Mexicains, est sévèrement affectée, obligeant le pays à importer massivement depuis les Etats-Unis, alors que ce pays est lui aussi touché par les pénuries et que la spéculation financière a fait grimper les prix de 50 % rien qu’en juillet.

Au Mexique, 10 millions de bovins sont morts depuis le début de la sécheresse, selon le député Gerardo Sánchez Garcí, un dirigeant de la Confédération nationale des paysans (CNC). Dans le centre-nord du pays, déjà très pauvre, la sécheresse sème la famine et le désespoir, poussant parfois jusqu’au suicide.

A travers le pays, agriculteurs et citadins se battent entre eux pour avoir accès à des ressources en eau qui diminuent partout, creusant illégalement des puits et allant jusqu’à prendre les armes dans certaines régions. Dans l’Etat du Durango, 1200 municipalités n’ont pas d’eau, la malnutrition infantile atteint 50 % et il n’y a ni maïs, ni haricots, autre culture essentielle au régime alimentaire des Mexicains, disponibles pour la consommation humaine. Dans l’Etat de Nuevo León, 50 000 bovins sont morts, soit 10 % de son cheptel, et 35 % des récoltes sont en dessous du niveau normal.

Au Zacatecas, les éleveurs affirment avoir perdu 150 000 bêtes. La production de haricots est au quart du niveau habituel et les réservoirs d’eau sont remplis à 17 % de leur capacité.

Dans le Chihuahua, seuls 64 000 hectares ont été semés, à peine plus de la moitié des 117 000 hectares habituels. La guerre pour l’eau a éclaté entre la communauté mennonite (50 000 membres) et les producteurs du Front des paysans démocrates et du mouvement d’El Barzón, ces deux derniers accusant les mennonites de voler de l’eau.

Pour comprendre les origines de cette situation déplorable, il est nécessaire de faire un retour sur les trente dernières années de l’histoire du pays.

L’héritage de López Portillo

Il est étonnant de voir à quel point le dernier relevé du gouvernement américain sur « la sécheresse en Amérique du Nord » (ci-dessous) correspond très étroitement à la région du Grand désert américain qu’avait désignée l’économiste et homme politique démocrate Lyndon LaRouche, il y a plusieurs décennies, pour accueillir plusieurs projets d’infrastructure hydraulique et autres. Si ces projets avaient été mis en œuvre tant au Mexique qu’aux Etats-Unis, nous n’en serions pas là aujourd’hui.
Carte de la sécheresse qui sévit actuellement en Amérique du nord
Lors d’une visite dans l’état de Coahuila, en novembre 2002, LaRouche avait insisté sur la nécessité d’apporter de l’eau et autres types d’infrastructures à cette région surnommée le Grand désert américain et aux régions désertiques voisines du nord du Mexique. Il avait fait rédiger un programme détaillé en ce sens, qui fut publié dans la revue Executive Intelligence Review (EIR) de mai 2003 sous le titre, «  Vladimir Vernadski et le développement biogéochimique du Grand désert américain  ».

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Il faut cependant remonter deux décennies plus tôt pour trouver le moment où le Mexique a perdu la bataille pour son développement et sa souveraineté. Ce moment fut celui de la défaite subie par le président José López Portillo en 1982, lorsqu’il fut écarté de la vie politique pour faire place aux forces financières globales qui ont livré le pays au trafic de drogue international.

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Helga Zepp-LaRouche lors d’une rencontre avec le Président mexicain Lopez Portillo.

Lorsque López Portillo arriva à la présidence, le Mexique était autonome à 80 % dans le domaine alimentaire (bien qu’avec un faible niveau de consommation) et son gouvernement avait mis en place le Système alimentaire mexicain (SAM) dont l’objectif était d’atteindre « l’autonomie pour les aliments de base, en particulier les céréales et les oléagineux ». Une étude détaillée des capacités physico-économiques du pays fut entreprise et on arriva à la conclusion que « l’autonomie pouvait être obtenue pour le maïs et les haricots en 1982. La mise en culture de nouvelles terres permettrait d’être autonome à partir de 1985 pour les autres types de denrées  ».

Après trois décennies de domination financière, le pays est aujourd’hui obligé d’importer 40 à 50 % de sa nourriture. Sur quelque 115 millions de Mexicains, près de la moitié vivent sous le seuil de pauvreté, tandis que 28 millions souffrent de précarité alimentaire. En outre, 40 millions d’habitants sont confrontés à la malnutrition. Le Conseil national pour l’évaluation des politiques sociales rapporte que le nombre de pauvres s’est accru de 12,5 millions entre 2006 et 2010, et que 10% des familles les plus pauvres ont perdu 15,5 % de leur revenu. Selon l’agence officielle de statistiques INEGI, au cours des six dernières années, le prix des tortillas (équivalent du pain en Europe) a augmenté de 74 %, celui des haricots de 75 % et celui des œufs de 66 %.

En même temps que l’effondrement de l’économie physique, les trafiquants de drogue ont fait leur propre coup d’Etat dans le pays. Comme Lyndon LaRouche l’expliquait récemment à ses associés, il avait travaillé étroitement à l’époque avec le président Lopez Portillo dans le combat pour forcer une réorganisation du système financier mondial, mais cette mission avait échoué. La situation actuelle du Mexique est le résultat direct de l’humiliation subie par le pays alors que Portillo avait pris les bonnes décisions. « Pourquoi le Mexique est-il dans le pétrin ? Pourquoi a-t-il autant souffert depuis lors ? Qu’est-il arrivé suite à la mise à l’écart brutale de Lopez Portillo ? Nous avons été battus par une puissance supérieure. L’ennemi était plus nombreux, parce que ceux qui auraient dû se comporter comme des patriotes ne l’ont pas fait. En voyant le problème de la drogue qui détruit le Mexique – et c’est là la question clé, car tous les problèmes agricoles et plusieurs autres sont tributaires du problème de la drogue et du système qui lui est associé – vous vous rendez compte qu’à moins d’écraser ces intérêts au Mexique, vous ne pourrez rien gagner dans ce pays.  »

Le prétexte environnemental

La force internationale dont parle LaRouche est l’oligarchie financière associée à la City de Londres et de Wall Street, et leurs associés au Mexique, avec, en plus du trafic de drogue, l’environnementalisme extrême qui promeut la réduction de la population et aggrave ainsi la crise. Prenons l’exemple de Josée Luis Luege Tamargo, du très malthusien Fonds mondial pour la nature (WWF), à la tête de la Commission nationale de l’eau, Conagua.

Luege est un fervent partisan des thèses anthropogéniques du réchauffement climatique, qu’il utilise pour justifier des coupes brutales dans la consommation d’eau. Lors d’une assemblée d’experts de 20 pays réunis à Mexico dans le cadre de la Convention de l’ONU sur le changement climatique, en juillet dernier, Luege a déclaré qu’il fallait un « changement drastique de politique » en matière d’énergie. Pas d’énergie nucléaire : seuls le solaire, l’éolien et les biocarburants sont « viables », a-t-il expliqué. Le Mexique doit «  s’adapter  » à la rareté des ressources, les Etats et les municipalités doivent être forcés de « respecter l’usage des sols » et de rationner la consommation des ressources naturelles et de l’eau.

La politique officielle de Conagua est d’interdire tout transfert d’eau entre bassins hydrauliques, sous prétexte de protéger la « virginité » de la Mère nature. Ainsi se trouvent interdits les projets d’infrastructure qui permettraient de mettre fin à la pénurie d’eau.

Un appel renouvelé pour le PLHIGON

Tout le monde n’est évidemment pas d’accord avec cette vision. Ainsi, le nouveau directeur du Comité d’infrastructure de la Conférence nationale des gouverneurs, Jorge Herrera, originaire de l’Etat de Durango, a déclaré lors d’une conférence de presse le 27 juillet : « Nous devons amener de l’eau des Etats [du sud] de Chiapas et Tabasco, où, malheureusement, une grande quantité d’eau est perdue en raison de son abondance... Si ces sécheresses sont récurrentes, nous devons penser à une solution traitant le problème à la source... Il y a ces projets à long terme, mais il reviendra au nouveau gouvernement fédéral et à la nouvelle Chambre des députés d’entamer les études et de faire les investissements. Nous devons nous mettre au boulot. Même si ces projets sont à long terme, ils peuvent être la solution. Leur coût ne représente rien par rapport au manque d’eau et à ses conséquences dramatiques. »

Le gouverneur Herrera a expliqué que cette proposition consistait à construire « des aqueducs, qui aideraient à mitiger fondamentalement le grave problème de la sécheresse frappant la région et qui laisse des millions de gens sans défense  ». Il a ajouté que ce projet constituerait un «  pont  » entre toutes les régions du pays, amenant de l’eau pour la croissance économique, l’emploi et le bien-être des familles.

Même s’il ne les a pas nommés explicitement, Herrera faisait référence aux deux grands projets hydraulique jumeaux que sont le PLHIGON (Plan hydraulique du Nord du Golfe) et le PLHINO (Plan hydraulique du Nord-Ouest), tous deux défendus depuis trois décennies par le mouvement larouchiste au Mexique. (Voir encadré.)

Le défi lancé par Herrera arrive au bon moment. Le pays se trouve en effet à la croisée des chemins dans sa bataille pour recouvrer sa souveraineté et son développement, après l’élection d’Enrique Peña Nieto du Parti institutionnel de la Révolution (PRI) à la présidence du pays, le 1er juillet dernier. Ces résultats représentent une cinglante défaite pour le PAN, qui a gouverné le pays pendant 12 ans sous Vicente Fox et Felipe Calderón, et reflète la volonté de la population de reprendre en main son destin.


Le projet PLHIGON : de l’eau pour le grand désert américain

Les deux projets d’infrastructure défendus par le mouvement larouchiste au Mexique depuis plusieurs décennies sont le PLHIGON, le Plan hydraulique du Nord du Golfe, et son équivalent de la côte Ouest, le PLHINO, ou Plan hydraulique du Nord-Ouest.

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Le PLHINO, comme le PLHIGON, capte l’eau des montagnes de l’ouest et du sud mexicain pour l’acheminer vers les régions arables du nord. Au nord du continent, le NAWAPA est un ensemble de barrages, canaux, tunnels et pompes, permettant d’acheminer les gigantesques ressources en eau douce de l’Alaska et du grand Nord canadien vers les Etats arides de l’ouest américain, jusqu’au nord du Mexique.

Le PLHIGON permettra de faire face aux problèmes récurrents d’inondations dans l’Isthme du Mexique, tout en produisant 9,5 gigawatts d’électricité, et de transférer, en remontant la côte Est, de vastes quantités d’eau vers le nord, dont une partie sera pompée pour alimenter le plateau du centre-nord, faisant partie du Grand désert américain.

Avec ses 30 km3 par an, la quantité d’eau transférée par le PLIGHON représentera environ un cinquième de celle impliquée dans le projet le plus ambitieux du monde qu’est NAWAPA XXI, l’Alliance nord américaine pour l’énergie et l’eau, soit 165 km3 par an.

Six grands barrages seront construits sur la rivière Usumacinta et ses affluents, certains en collaboration avec le Guatemala. La vaste plaine côtière et régulièrement inondée s’étendant à travers le Tabasco et le Campeche sera également drainée et ouverte à l’agriculture. Un canal vers l’est, en direction du Yucatan, permettra de soulager la péninsule des pénuries d’eau actuelles. Un second canal vers l’ouest, d’une longueur de 59 km, sera construit pour relier la ville de Villahermosa à la côte du Golfe, transformant cette ville souvent inondée en un grand port intérieur.

La deuxième phase implique le transport de 15 km3 d’eau additionnels le long de la côte Est vers le nord. Des difficultés techniques pour transférer de si vastes quantités d’eau à travers le nœud central du pays nécessiteront cependant de l’électricité d’origine nucléaire. Même chose pour transférer de l’eau de l’autre côté de la Sierra Madre orientale, vers la région du centre-nord constituant l’épicentre de la sécheresse aujourd’hui. Une quantité d’eau supplémentaire (6,8 km3) peut être transportée du sud vers le nord le long de la TzenValle, parallèle à la côte.

D’autres projets complémentaires visent à transporter de l’eau du Golfe vers la région du centre-nord. L’un d’entre eux prévoit la construction d’un canal depuis l’extrémité nord de PLHIGON à Monterrey, vers Saltillo puis Torreón, et rejoignant la partie sud de la rivière Conchos, un affluent du Rio Grande dans l’Etat du Chihuahua.

Le PLHIGON et le PLHINO prendront toutefois toute leur importance une fois reliés à NAWAPA par un projet appelé NAWAPA-Plus. Comme le montre la figure 2, la branche orientale de NAWAPA serait reliée aux affluents du Rio Grande (Río Bravo), qui coule le long de la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis à partir de cet endroit.

Le Mexique serait ainsi intégré dans un seul système de gestion de l’eau à l’échelle de tout le continent nord-américain.