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La fusion nucléaire, expression de la cognition humaine

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Benoit Chalifoux

Cet article a été rédigé à partir d’une émission du Weekly Report : on Thermo-nuclear fusion avec Ben Deniston.

Lors d’une conférence Internet le 21 septembre dernier, l’économiste américain Lyndon Larouche a souligné le fait que l’apparition de l’homme – en tant que processus cognitif – sur Terre, est révélée non pas par des signes d’ordre biologique, comme par exemple des caractéristiques morphologiques sur des restes d’ossements qui différencieraient l’humain du non-humain, mais plutôt par des signes d’ordre fonctionnel.

Parmi ces derniers, le signe le plus révélateur est l’usage du feu, qui a transformé de manière fondamentale la relation qu’entretient l’homme avec son environnement. C’est en effet le feu qui lui a permis de fabriquer des outils plus performants et de cuire ses aliments, deux fonctions qui ont considérablement amélioré sa qualité et son espérance de vie. C’est donc la trace de foyers éteints auprès d’ossements préhistoriques qui nous permet d’affirmer que ces ossements sont bien d’origine humaine.

Ainsi, ce qui définit l’homme, ce n’est pas sa nature biologique mais sa nature cognitive, et ce sont ces capacités cognitives qui lui permettent d’évoluer bien au-delà des limites inhérentes à chacune des autres espèces animales.

La maîtrise du feu par l’homme a également été la première étape, dans l’évolution de notre espèce et de nos sociétés, d’un processus caractérisé par l’utilisation de sources d’énergies de plus en plus denses. Nous sommes ainsi passés depuis la combustion du bois, par différentes étapes qui nous conduisent à la fusion thermonucléaire contrôlée – une percée, en fait, qui aurait déjà dû être accomplie depuis une vingtaine d’années.

Comme on le voit sur la figure 1 (les données sont fournies ici pour les États-Unis mais reflètent le même processus dans les autres pays), au cours de l’histoire des pays industrialisés, la densité du flux d’énergie (exprimée ici par la consommation par tête) a doublé trois fois en un peu plus de deux siècles (entre 1750 et le début des années 1970). L’on est ainsi passé – et à chaque fois avec une plus grande densité par gramme de matière première et une température de combustion plus élevée – du bois au charbon, puis aux produits pétroliers et enfin à la fission nucléaire. Dans chacune de ces trois transitions, la consommation d’énergie par tête a essentiellement doublé, ce qui a permis à tout individu actif dans notre société de devenir de plus en plus productif.

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Figure 1.

On voit aussi sur la figure 1 que la fission n’a pas joué pleinement le rôle qui lui était dévolu. C’est ce qui est illustré par un aplatissement de la courbe : un processus d’effondrement généralisé s’est peu à peu installé dans les économies occidentales.

Le grand déficit énergétique

Le plus intéressant, toutefois, est de comparer cette courbe à celle que nous aurions obtenue si la fusion thermonucléaire avait été introduite comme principale source d’énergie – un processus qui aurait dû démarrer dans les années 1980 (voir figure 2). Il est clair que cet abîme entre les deux courbes, est la meilleure expression de l’effondrement économique que nous subissons à l’heure actuelle. D’où l’absence du plein emploi, ainsi que notre incapacité à soutenir les plus âgés et à assurer un avenir aux plus démunis.

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Figure 2.

Lorsque nous nous intéressons à la recherche sur la fusion, nous constatons que l’on nous parle constamment de percées à venir « d’ici 30 ans », alors que les années passent et que rien n’arrive. On nous dit régulièrement que les percées prévues n’ont pas pu être accomplies pour des raisons d’ordre technologique. En fait, il n’en est rien. En 1976, des développements significatifs ont eu lieu dans ce domaine, montrant que la fusion thermonucléaire contrôlée serait un jour une réalité. C’est à cette époque qu’on entreprit une étude systématique des conditions nécessaires au développement d’un réacteur de démonstration puis d’un prototype capable de produire de l’électricité à des fins commerciales. L’on définit dans le rapport publié à cette occasion, trois scénarios, en fonction du niveau de financement consenti, conduisant au développement d’un réacteur de démonstration soit pour 1990, soit pour 1998, soit pour 2004.

Le projet ITER, un réacteur par confinement magnétique actuellement en construction à Cadarache en France, a été conçu dans les années 1980 et aurait pu être opérationnel au cours des années 1990. Nous sommes en 2013 et sa réalisation s’achèvera dans les années 2020. L’origine de ce retard n’est pas d’ordre technologique mais bel et bien financier, ou plutôt politique, car ce sont les politiques qui décident des financements.

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Figure 3.

Dans la figure 3, la partie en vert représente le niveau de financement effectivement consenti par le Congrès américain. En 1980, ce dernier avait voté la loi Magnetic Fusion Engineering Act qui stipulait qu’il faudrait doubler le financement de la recherche sur la fusion à l’horizon 1980 (la partie en rouge dans le graphique). La Loi affirmait également qu’un réacteur de démonstration (semblable à ITER) serait la prochaine étape pour les années 1990, et qu’en 2000 on aurait un prototype. La loi a été votée, puis signée par le président des Etats-Unis. Les financements devaient augmenter (courbe rouge de la figure 3), mais la situation a dégénéré vers un autre scénario, identifié au cours des années 1970 sous le nom de « fusion, jamais » (ligne horizontale noire). Il s’agissait du niveau de financement en-dessous duquel la fusion ne pourrait jamais être développée, même en maintenant des équipes de recherche en activité.

Ainsi, « la fusion dans trente ans » est une fraude, car le niveau de financement des recherches est resté, au cours des trois dernières décennies, en dessous du seuil à partir duquel les percées nécessaires auraient pu être effectuées.

Pour obtenir ces percées, trois voies sont possibles : la fusion par confinement magnétique, à l’intérieur d’un tokamak, telle qu’illustrée par le programme ITER actuellement en construction, la fusion par confinement inertiel, faisant appel à des faisceaux laser pour comprimer de petites billes de combustible, et la machine Z qui utilise un générateur de rayons X. Il faut accroître le financement des trois voies et passer, dans le cas de la fusion par laser, de l’approche purement militaire décidée en 1995 par Jacques Chirac, à l’approche civile, certes plus difficile au départ car faisant appel à des cibles plus petites, plus difficiles à allumer mais plus faciles à contrôler. C’est le vœu exprimé par le « père de la fusion par laser » Jean Robieux, le scientifique français qui a posé l’hypothèse à l’origine de cette deuxième voie, juste avant son décès en 2012.

Il est urgent que nous mettions fin à l’aventurisme militaire qui a dominé la politique mondiale depuis la chute du mur de Berlin et que nous nous employions à garantir que la fusion thermonucléaire devienne rapidement une réalité. Seule la fusion permettra à l’espèce humaine de se montrer à la hauteur du potentiel qui s’est manifesté en elle la première fois, lorsqu’elle s’est rendue maîtresse du feu, il y a de cela deux millions d’années.