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Energy of the Future / L’énergie du futur
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World Nuclear Exhibition : la renaissance du nucléaire est en marche

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Par Benoit Chalifoux et Karel Vereycken


Le futur HTR-PM. Actuellement en construction en Chine, cette centrale composée de deux réacteurs modulaires à haute température, à lit de boulets et refroidis au gaz, devrait être complétée en 2017. Elle aura une puissance de 210 MWe et fonctionnera à une température de 750°C.

Qualifié par certains écologistes radicaux comme un « congrès de dinosaures », la première édition de la World Nuclear Exhibition (expo mondiale du nucléaire) qui s’est tenue du 14 au 16 octobre 2014 au Bourget, avec ses 500 exposants, ses 10 pavillons d’États et ses 7200 visiteurs professionnels venus de 71 pays, a été un franc succès.

Pourtant, bien que 47 % des Français voient le nucléaire sous un œil plutôt favorable, contre 40 % qui y voient plutôt des inconvénients, les députés français ont validé début octobre par leur vote la politique énergétique suicidaire choisie par le gouvernement, visant à ramener de 75 à 50 % la part du nucléaire dans la production de l’électricité en France d’ici 2025.

Précisons que nous ne vivons pas du tout, comme on le prétend souvent, dans le « tout nucléaire », puisque l’électricité d’origine nucléaire ne représentait que 16,5% de l’énergie finale consommée en France en 2009. L’énergie dominante consommée par les utilisateurs pour le résidentiel et le tertiaire, les transports, l’industrie, la sidérurgie et l’agriculture reste le pétrole, avec un poids de 42%. L’électricité et le gaz font chacune presque moitié moins (24 % pour l’électricité et 22 % pour le gaz), les énergies renouvelables atteignant 9 % et le charbon seulement 3 %.

L’offensive des BRICS

Au cours de l’exposition, nous avons pu nous entretenir avec tous ceux qui participent à la renaissance nucléaire en cours, en particulier depuis l’offensive des BRICS, un ensemble de pays qui ont décidé d’investir dans l’énergie de demain et d’équiper tous ceux qui en ont réellement besoin. Le PDG de la société d’État russe Serguei Kirienko, suite à nos questions, a fait le point sur les nouvelles centrales nucléaires flottantes en cours de construction en Russie. La ministre de l’Énergie de l’Afrique du Sud, qui vient de signer un accord cadre avec la Russie puis la France pour la coopération nucléaire, nous a confirmé que son pays va investir massivement dans cette énergie.

Chine : réacteurs à haute température

Une découverte intéressante faite lors de la visite des pavillons fut la réapparition du réacteur à haute température à lit de boulets et refroidi au gaz, qui avait été abandonné en Afrique du sud il y a quelques années pour des raisons techniques et surtout budgétaires. Baptisé en Chine HTR-PM, ce réacteur de quatrième génération est, en toute discrétion, en cours de construction près de la ville de Weihai (dans la province de Shangdong) et ce depuis 2012. Nous disons en toute discrétion car il s’agit là d’un pari technologique et ses futurs propriétaires attendent la complétion du projet en 2017 avant d’annoncer en grand leur réussite. Intégrant des systèmes de sécurité passive sans précédent [1] et d’une puissance combinée de 210 MWe, les deux modules en construction (de 250 MWth chacun) fonctionneront à 750 °C et deviendront les premiers réacteurs de ce type à entrer en service d’un point de vue commercial dans le monde.

Le représentant de l’un des trois groupes énergétiques impliqués dans le projet, le groupe China Huaneng, nous a expliqué que l’on cherchera ensuite à construire des modules plus puissants et à accroître la température à 950 °C (nécessaire pour la production d’hydrogène) et même jusqu’à 1200 °C. Le groupe China Huaneng, une société publique et qui est l’un des grands producteurs d’énergie en Chine avec une puissance totale installée de 143 GW, (à comparer aux 139,5 d’EDF), ne possède pour l’instant aucune centrale nucléaire !

La grande majorité de ses centrales sont au charbon, tandis que le reste de sa production d’électricité provient de l’éolien et du solaire. En développant des réacteurs nucléaires modulaires à haute température, la société espère pouvoir les coupler directement à ses turbogénérateurs existants, qui fonctionnent eux aussi à des températures similaires et qui sont très modernes. [2]

L’Argentine est de retour

La centrale argentine d’Atucha

Autre découverte intéressante : le programme nucléaire argentin. Bien que ne faisant pas partie des BRICS, l’Argentine est elle aussi marquée par une vague d’enthousiasme en faveur du progrès scientifique, notamment dans les secteurs du nucléaire et de l’espace. Après une interruption de 23 longues années, l’équivalent d’une génération, son président d’alors, Nestor Kirchner, avait décidé en 2006 de relancer la construction du deuxième réacteur de la centrale d’Atucha, réacteur à eau lourde de 740 MW conçu à l’origine par une filiale de Siemens, qui a mis fin en 2000 à ses activités dans le domaine du nucléaire. L’Argentine a dû par conséquent obtenir le transfert total des droits intellectuels, et rappeler ses ingénieurs et ouvriers spécialisés à la retraite pour participer à la formation d’une nouvelle génération d’individus capables de mener à bien cette mission. Une mission réussie, puisque la centrale a été terminée plus tôt cette année et devrait atteindre sa capacité de production maximale d’ici le 31 décembre 2014.

Un prototype de réacteur intéressant est également en cours de construction. Baptisé le CAREM-25, il s’agit d’un petit réacteur à eau pressurisée d’une puissance de 25 MWe. Il est doté de caractéristiques de sécurité passive innovantes et il pourra être utilisé dans les pays en voie de développement, notamment pour le dessalement de l’eau de mer. Nous aurons de plus amples informations sur ce réacteur entièrement conçu en Argentine au cours des prochaines semaines.

Les maîtres-mots en Occident : dérégulation, austérité, pessimisme

La situation aux États-Unis, le plus grand producteur d’énergie nucléaire au monde (avec plus de cent réacteurs), n’est guère reluisante. A cause de la dérégulation des marchés de l’électricité (une politique d’ailleurs soutenue par les Verts tant aux États-Unis qu’en Europe, même s’ils se gardent bien de le crier haut et fort), les sociétés de production d’électricité ne se précipitent pas aux portillons pour construire de nouvelles centrales. Seulement cinq sont présentement en construction, après une interruption de quelque trente ans dans l’érection de nouvelles centrales. La baisse des prix des hydrocarbures, liée à la bulle spéculative des gaz et du pétrole de schiste, de même que les subsides massifs accordés aux éoliennes, deux politiques chères à Obama, ne sont pas de nature non plus à relancer la dynamique en faveur du nucléaire dans ce pays. La principale perspective se limite donc à l’extension de la durée de vie du parc actuel, qui doit passer de 60 à 80 ans pour une grande partie d’entre elles ! On est loin ici d’une renaissance !

ASTRID pour la France

Le seul projet d’avenir en France est le réacteur de génération IV à neutrons rapide (RNR) Astrid du CEA, qui est à l’heure actuelle dans sa phase dite d’avant-projet « sommaire », qui doit se terminer en 2015 et qui mobilise actuellement 500 personnes. L’avant-projet « détaillé » doit ensuite suivre entre 2016 et 2019, mais bien que Manuel Valls se soit prononcé lors du salon en faveur d’une telle perspective, il n’est pas du tout garanti hélas que les pouvoirs publics décident en 2019 de passer à la phase construction.


La cuve d’ASTRID. Un nouveau concept, celui du Cœur à faible vidange (CFV), améliorerait la sûreté en cas d’accident de perte globale de refroidissement. Il s’agit d’éviter l’ébullition du sodium. Ce concept favorise la fuite des neutrons hors du cœur en cas d’accident pour ainsi réduire la réactivité du cœur.

Pourtant, l’enjeu n’est pas des moindres : les RNR permettraient en effet de brûler 80 % de l’uranium-238, qui reste pour l’instant inutilisé tant au niveau des combustibles usés que celui des stocks issus des activités d’enrichissement (la France en accumulé 270 000 tonnes sur son territoire). Ils permettraient également de récupérer le plutonium des combustibles usés (en particulier le MOX, oxyde mixte d’uranium et de plutonium qui est utilisé dans 20 des 58 réacteurs d’EDF).

Imaginez un peu la chose : les ressources disponibles en uranium naturel dans le monde (composé de 0,7 % d’uranium-235 et le reste en uranium-238) étaient estimées en 2012 à 71 gigatonnes d’équivalent pétrole, contre 161 et 236 pour le gaz et le pétrole. Avec les RNR, on peut tirer de ces 71 gigatonnes de ressources non encore exploitées 100 à 150 fois plus d’énergie que dans les réacteurs conventionnels, ce qui nous donnerait 7100 à 10 650 gigatonnes (!), dépassant ainsi de loin le gaz et le pétrole.

Et c’est sans compter les stocks accumulés d’uranium-238 en France et dans les autres pays. Ici cependant, l’Inde est en train prendre les devants, (logique des BRICS oblige) car un RNR de 500MW est en cours de construction dans le pays, sans oublier les recherches qu’elle poursuit dans le domaine du thorium, autre combustible potentiel.

Un choc salutaire

Ainsi, il est grand temps que la France se réveille. Cette première exposition nucléaire mondiale est un premier pas, mais il reste encore beaucoup à faire pour rétablir une dynamique de progrès scientifique dans notre pays, en particulier dans le domaine du nucléaire où la France s’est assise confortablement sur ses lauriers.

Ici, il faut voir la nouvelle dynamique à l’échelle internationale non pas comme un obstacle mais comme une source de coopération à grande échelle, comme cela devrait d’ailleurs être le cas dans d’autres domaines comme le transport à grande vitesse et le spatial. Comme l’a souligné le directeur général du CEA Bernard Bigot, vu les enjeux de sécurité du nucléaire (et nous ajouterions la nécessité de développer de nouvelles sources d’approvisionnement ainsi qu’une main d’œuvre toujours plus qualifiée), la confiance et la coopération doivent passer avant l’affrontement et la concurrence.

Ainsi, la logique des BRICS (optimisme à l’égard du progrès scientifique, priorité à l’investissement à long terme et non pas à la spéculation financière, rôle de l’État dans la régulation des marchés et le financement de la recherche) doit nous inspirer plus que jamais.


[1La caractéristique de sécurité passive la plus intéressante étant que le combustible se présentera sous la forme de boulets entourés de céramique et non pas de tubes allongés recouverts de zirconium, leur permettant de soutenir des températures allant jusqu’à 1600 °C sans se déformer.

[2Soulignons que les centrales nucléaires traditionnelles fonctionnent habituellement à des températures de l’ordre de 330°C, car il faut ralentir les neutrons suffisamment pour qu’ils puissent engendrer des réactions de fission, tandis que les centrales au charbon fonctionnent à des températures supérieures à 600°C.