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La dette grecque : l’arbre qui cache la forêt des produits dérivés

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Karel Vereycken

La dette grecque s’élève à 320 milliards d’euros, c’est-à-dire à 175 % du PIB grec. [1] Si en rapport « dette sur PIB », elle atteint des records, elle reste en valeur absolue loin derrière celles du Royaume-Uni (autour des 2000 milliards), de l’Italie (plus de 2000 milliards d’euros), de l’État fédéral américain : plus de 16 000 milliards de dollars (et plus de 100% du PIB) ou du Japon, où elle dépasse les 230 % du PIB.

Privatiser les profits, socialiser les pertes

Si en 2010, la dette publique grecque était détenue par les investisseurs privés, après deux plans d’aide (en 2010 et 2012) et une restructuration de la dette publique détenue par le secteur privé en mars 2012 (plan Private Sector Involvement), elle est aujourd’hui majoritairement entre les mains d’États ou d’organismes publics : 10 % des titres sont détenus par la BCE, 17 % par des États européens, 45 % par le Fonds européen de stabilité financière (FESF), 19 % par les banques et le reste par le FMI. En clair, dans la logique d’une privatisation des profits et d’une socialisation des pertes, les banques européennes insolvables ont été renfloué par l’État grec, à son tour renfloué par l’argent public de la zone euro.

Seulement, en transférant les dettes des banques « too big to fail » aux Etats, ces derniers sont devenus à leur tour « too big to fail », c’est-à-dire, trop gros pour qu’on puisse, de façon comptable, acter leur faillite et liquider leur dette.

C’est ce qu’a souligné le 13 janvier Alexis Tsipras dans sa lettre aux Allemands publiée par le quotidien Handelsblatt :

En 2010, l’État grec a cessé d’être en mesure de servir sa dette. Malheureusement, les dirigeants européens ont décidé de faire croire que ce problème pourrait être surmonté par l’octroi du plus grand prêt jamais consenti à un état [110 milliards d’euros sur 3 ans], sous condition que certaines mesures budgétaires seraient appliquées, alors que celles ci, manifestement, ne pouvaient que diminuer le revenu national destiné au remboursement des nouveaux et anciens prêts. Un problème de faillite a été donc traité comme s’il s’agissait d’un problème de liquidité. En d’autres termes, l’attitude adoptée était celle du mauvais banquier qui, au lieu d’admettre que le prêt accordé à la société en faillite a ’’sauté’’, lui accorde des prêts supplémentaires, prétextant que les anciennes dettes restent servies et prolonge ainsi la faillite à perpétuité.

Rajoutons à cela qu’en chiffres nets, le montant de la dette grecque n’a pas sensiblement évolué. Il est même en recul par rapport au pic de 2011 : 355 milliards.

Cependant, en raison de l’effondrement de l’économie grecque, visible dans le recul de son PIB, le ratio de la dette par rapport au PIB (le seul chiffre qui fait référence pour les opérateurs de marché) ne cesse de progresser. Car, les politiques d’austérité imposées par la troïka ont fait en sorte que le PIB grec est passé de 237,42 milliards d’euros à la fin 2009 à 178,8 milliards à la fin du troisième trimestre 2014. Une chute de 25 % depuis le début de la crise financière dans la zone euro, alors que l’Europe a prêté 240 milliards d’euros…

Pour réduire ce ratio dette/PIB, la troïka conseille évidemment d’infliger une cure supplémentaire d’austérité draconienne : privatisation du secteur public, licenciements de masse, réduction des budgets de la santé, de la culture et de l’éducation, dans le but de dégager le surplus budgétaire inscrit dans le mémorandum d’aide… alors que c’est précisément cette politique qui dégrade le ratio dette/PIB !

Le FMI savait que c’était dingue

Panayotis Roumeliotis, l’ex-représentant du FMI en Grèce, a reconnu dans les pages du New York Times qu’au début de la crise grecque, un débat à fait rage au sein de l’institution sur les plans de sauvetage qu’elle préconisait. « Nous savions dès le début que ce programme était impossible à mettre en œuvre », notamment parce que la Grèce, étant dans l’euro, ne pouvait pas dévaluer. Le FMI a fini par accepter de financer le programme grec, parce que le risque systémique lié à la contagion de la crise grecque était très élevé.

Dans une autocritique spectaculaire, l’ancien directeur Europe du FMI, Reza Moghadam, reconnaît, dans le Financial Times du 25 janvier 2015, que les nouveaux plans de la troïka « menaceraient la cohésion sociale et anéantiraient toute chance de reprise économique ». Pour sa part, il préconise ce qu’il s’est bien gardé de suggérer lorsqu’il était au FMI : « la réduction de moitié de la dette grecque ! »

Comme on le voit, la Troïka a donc agi... contre l’avis des économistes les plus réalistes du FMI ! La raison en est très simple : derrière la dette grecque se loge un autre monstre, celui de la bulle spéculative des produits dérivés, construite sur elle.

La bombe des produits dérivés

Pour le site financier Valuewalk, « en cas d’un effacement de la dette grecque », tous les pays du Sud de l’Europe seraient en position de réclamer à leur tour cette solution :

L’effacement de la dette est un déclencheur majeur des produits financiers dérivés non-régulés à travers la zone euro. Le volet le moins connu dans les négociations grecques est l’impact inconnu des contrats de dérivés qui sous-tendent le système économique. Quelles banques y sont exposées ? A quel point leur exposition est interconnectée et quels sont les seuils capables de déclencher une crise semblable au crash des dérivés de 2008 ?

ValueWalk rapporte qu’en coulisse, pour les responsables de l’ONU, « le joker, appelé ’’défaut sur produits dérivés non-régulés’’ » et « son impact imprévisible sur la sécurité mondiale », sont un sujet de grave préoccupation.

Car un effacement, même partiel de la dette serait forcément perçu, par les agences de notation et les acteurs des « marchés », comme « un événement de crédit », c’est-à-dire un défaut ou un défaut partiel d’un pays. Un tel événement provoquerait automatiquement l’explosion de la gigantesque bulle de produits financiers dérivés construite sur la dette, en particulier les Credit Default Swaps (CDS), c’est-à-dire les « primes d’assurance contre le risque de défaut ».

C’est sur la gestion de la crise des dérivés, qu’on occulte pour le grand public tellement elle est gravissime, qu’à Washington, Paris, Francfort et Bruxelles, les « valets » de l’oligarchie financière s’entre-déchirent.

Les partisans de la flexibilité, comme Matthieu Pigasse de la banque Lazard, sont près à concéder un effacement partiel de la dette pour calmer le jeu et mettre la zone euro hors de danger. Ceux de la ligne dure répondent qu’au contraire, tout geste pour la Grèce « contaminerait » fatalement l’ensemble de la zone euro. Au passage ils évoquent hypocritement la question de « l’aléa moral » : un effacement de la dette « inciterait » les emprunteurs à être moins rigoureux dans le futur.

Tous refusent de remettre en cause un système financier devenu une machine à spéculer et à détruire les peuples.

Pour le citoyen, cela a le mérite de clarifier les enjeux : sans fermer le casino mondial des produits dérivés et de la titrisation irresponsable, c’est-à-dire les produits phares de la City et de Wall Street, dont on discute aujourd’hui à Bruxelles, toute renégociation de la dette est tout simplement impossible : la Grèce en est une démonstration clinique, les emprunts toxiques de Dexia qui empoisonnent nos collectivités et nos hôpitaux en sont une autre.

Avec raison, Alexis Tsipras avait déclaré dès 2012, lors d’un entretien dans The Guardian, que :

La seule solution viable est une réduction de la dette non seulement pour la Grèce, mais pour toute la périphérie sud de l’Europe... C’est la raison pour laquelle nous proposons une conférence similaire à celle qui a eu lieu à Londres en 1953, qui a soulagé l’Allemagne d’environ 60 % de sa dette.

Aidons-le à faire bien plus : une « conférence internationale sur la dette » pourra, en repartant sur des bases assainies, jeter les bases de ce « nouveau Bretton Woods » que réclame Lyndon LaRouche et Jacques Cheminade et que les pays des BRICS ont déjà commencé à construire.


[1A titre de comparaison, le PIB français pèse plus de 2000 milliards et celui de la zone euro plus de 9000 milliards.