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Conférence internationale de l’Institut Schiller du 13-14 juin 2015 à Paris.
Jean-François Di Meglio : internationalisation du yuan, perspectives et réalités

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Voici la transcription de l’intervention de Jean-François Di Meglio, expert financier et président du ASIA Centre à Paris, lors de la conférence internationale de l’Institut Schiller des 13-14 juin 2015 à Paris.

L’évolution financière et monétaire de la Chine permet-elle d’envisager un changement radical du système financier international ?

1. Les prémisses de la pensée monétaire chinoise

2. L’histoire récente de la politique monétaire

3. Le débat avec les Occidentaux

4. La « créativité » chinoise et ses conséquences

5. Les changements du jeu géopolitique international et les conséquences possibles dans la montée en puissance de la Chine.

Introduction

Jusqu’à ces dernières années, la question qui laissait beaucoup d’auditoires, même très avertis, muets et pétrifiés en matière d’économie chinoise était : « Qu’est-ce que la Chine emprunte massivement à l’étranger » ? Comme la Chine est le premier exportateur mondial et joue un rôle clé dans le commerce, les meilleures réponses portaient habituellement sur « les matières premières » (qui ne sont pas empruntées mais achetées) ou au mieux « le droit de polluer ». Presque jamais la réponse attendue ne venait : « La Chine emprunte à l’étranger ses moyens de paiement. »

1. En effet, dans son action décisive de modernisation depuis plus de trente cinq ans, la Chine a « pensé à tout », mais n’a pas pu « s’occuper de tout ».

Elle a pendant longtemps négligé la partie la plus lourde à s’approprier dans son processus de reconquête économique, qui est l’indépendance monétaire. Absence d’indépendance ne veut pas dire absence d’autonomie. En effet, pour des raisons qui vont être développées ultérieurement, la Chine s’est comportée dans le domaine monétaire un peu comme un « satellite autonome », mais farouchement distingué du reste du monde, en isolant son système financier des soubresauts du reste du monde. Mais l’époque touche à sa fin où cette attitude pouvait prévaloir.

Les traumatismes de l’histoire chinoise, dont le « narrative » comme on dit en américain est assez simple : « La Chine a été la première puissance mondiale, a été déchue de cette place par l’incompétence de son système politique et les abus qu’elle a subis de la part des étrangers. »

Ces traumatismes ont été le plus souvent d’origine monétaire et sont une leçon de l’histoire profondément ancrée dans le mental des individus et des dirigeants. En effet le dernier régime à avoir été renversé sur le Continent, celui de Tchang Kai Tchek, l’a été pour des raisons économiques et monétaires (inflation galopante et dévaluation effrénée) et par ailleurs le tournant le plus récent de l’histoire chinoise (la perte d’influence de la Chine dans le monde) a été causé par le monométallisme adopté au XIXe siècle.

Fondant son système monétaire exclusivement sur l’étalon-argent, la Chine a subi de plein fouet, comme d’autres pays qui avaient fait le même choix, la perte de valeur de cet étalon par rapport à l’or, pour des raisons qui étaient essentiellement extérieures à l’économie chinoise.

Pour finir, l’autre traumatisme très ancré dans l’esprit chinois, même s’il n’est que partiellement transposable, est l’interprétation « officielle » qui est faite en Chine des accords du Plaza en 1985 et de l’ « internationalisation » du yen. Pour les analystes chinois, le Japon qui résistait farouchement à l’utilisation de sa devise et campait sur sa souveraineté, en a été partiellement dépossédé par l’obéissance à un système dominé par les Etats-Unis qui les a contraints à ouvrir leurs marchés de capitaux, à utiliser leur devise dans les échanges, y compris les investissement, et a mis à jour une « pseudo » (ou réelle) surévaluation de la devise japonaise, déclenchant la réévaluation étourdissante du yen qui a doublé sa valeur en dollar en un peu plus d’un an.

L’interprétation chinoise de cette dernière crise est que la récession japonaise tire son origine dans ce phénomène et qu’il faut à tout prix que la Chine préserve les acquis durement gagnés contre le système depuis trente cinq ans en résistant à toute voie de fait étrangère.

Ceci étant dit, la dépendance constatée jusqu’à ces dernières années vis-à-vis de la devise américaine va exactement dans le sens contraire de cette hantise mais elle est restée longtemps inévitable. Sortir de cette dépendance signifie en effet pour la Chine la construction d’un système financier développé, avec un recours au marché dénué d’obstacles et une absence de fragilité de l’économie vis-à-vis du système bancaire.

Or curieusement, la Chine n’a pas inventé d’instruments financiers propres : elle est juste en train de moderniser « à la libérale » ses marchés boursiers et d’organiser ses systèmes de financement non intermédiés (les marchés de taux), en lançant des marchés obligataires, mais on en est loin.

C’est que les efforts de réforme de l’économie, des prix, des échanges internationaux et, il faut bien le dire, la commodité (y compris au sens anglais du terme) de l’utilisation d’une devise liquide et reconnue, le dollar, a repoussé longtemps l’idée de réforme du système financier global.

La Chine jouant dans le temps long, il aurait été faux de penser que ce report signifiait l’abandon d’une idée forte et très ancrée : celle qu’il fallait changer le système.

La crise financière de 2008-2009 a accéléré la prise de conscience qu’il fallait faire quelque chose pour faire changer le système. En effet, lors de la première vague de crise, en 2007-2008, et des premiers « G20 », la Chine a cru à la fois que son heure était venue d’investir dans les systèmes financiers étrangers comme par exemple la prise de participation dans Royal Bank of Scotland, ce qui s’est avéré un désastre. )

La Chine en a tiré la leçon qu’elle risquait d’être entraînée malgré elle dans un jeu où elle n’aurait pas le choix d’être de plus en plus impliquée dans un système malade. Le point tournant a été le 15 septembre 2008, lorsqu’a failli être déclaré, après la crise de Lehmann, l’insolvabilité de Fannie Mae et Freddie Mac. La Chine a apporté son soutien en s’engageant à rester un investisseur de référence, mais a commencé à « retirer ses billes ».

Le changement est désormais en action, avec une diminution des avoirs chinois en dollars, une diversification effectuée au moment où les meilleurs arbitrages pouvaient être effectués contre devises « bonnes à acheter » du fait de leur baisse contre le dollar et un arrêt de l’augmentation des stocks de devises détenues par la Banque centrale chinoise. Tout ceci est arrivé en 2014, finalement.

2. La politique monétaire chinoise a été inchangée de 1992 à 2005 d’une certaine façon, en tout cas concernant le taux de change, fixé à 8,18 renminbi, l’autre nom du yuan, contre le dollar américain jusqu’en juillet 2005 où la « bande de fluctuation quotidienne » a été une première fois élargie.

Cette décision a permis le début de la réévaluation de la devise contre le dollar, comme le graphique ci-contre l’indique (source UBS Hong Kong) ;

Cette décision aux conséquences encore sensibles est le début d’une évolution dont on voit à quel point elle est raisonnée, lente et projetée dans le temps, puisque dix ans après elle n’est toujours pas aboutie.

Après une période « prudente » de restabilisation du taux de change pendant « la crise » (ou sa phase la plus active peut-on dire), la Chine a pris une autre mesure à l’été 2010 : celle d’ouvrir partiellement son compte de capital à travers une « fenêtre » à Hong-Kong, une sorte de jumeau de la devise domestique. Elle a ainsi créé un marché des taux « fantôme ».

La question est de savoir si cette expérience était un « leurre libéral », une expérience destinée à être abandonnée si elle ne donnait pas de résultats satisfaisants, ou un élément d’une panoplie disparate.

Elle était la façade la plus « libérale » des évolutions chinoises.

Deux autres axes ont été activés :

-* Le premier, en partie fondé sur la décision de l’été 2010 de libéraliser partiellement les échanges de yuan sur la place de Hong Kong, était l’extension de l’utilisation du yuan comme monnaie d’échanges commerciaux (commerce bilatéral et international, tant pour les exportations chinoises que pour les importations, hors matières premières). Aujourd’hui, le yuan, qui par ailleurs bénéficie d’accords de swaps nombreux avec une vingtaine de pays dont certains majeurs, est la cinquième monnaie d’échanges commerciaux internationaux, loin il est vrai du dollar américain (40 % des échanges) et même de l’Euro (10 %), avec environ 5 %.

  • L’autre était la tentative de fédérer des pays proches, amis, semblables, par exemples les « BRICS » pour préfigurer un système d’assistance et éventuellement de mutualisation des responsabilités et des risques, à travers une « Banque des BRICS » évoquée au sommet de Durban en 2011et qui aurait permis « entre soi » de prévoir, d’amortir et d’éviter les crises, voire de créer un système monétaire parallèle.

Ces deux tentatives ont eu un impact limité, qui ne remet cependant pas en cause la théorie et l’action chinoise.

3. Le principal débat avec les Occidentaux porte en fait, malgré les jeux d’ombre autour de la « parité » (en réalité un faux débat dont même les animateurs américains ont connu depuis le début les limites) sur l’implication et la responsabilité prise par la Chine. La position de la Chine est lisible, à défaut d’être exprimée objectivement : c’est le développement de sa propre économie qui prime et aucune responsabilité « mondiale » ne saurait lui être objectée face à cette contrainte dont elle renvoie facilement les conséquences pour le jeu mondial : un ralentissement de la Chine signifierait une crise économique pour l’ensemble du monde, qui a anticipé sa montée en puissance.

Loin donc du débat apparent sur le taux de change, l’inclusion dans les droits de tirage spéciaux du FMI, la vraie question est pour la Chine la validation du « système tel qu’il est », (FMI) éventuellement un repositionnement de la Chine en acteur principal, voire en « sparringpartner », c’est-à-dire provoquant un effet d’entrainement à son partenaire, au sein d’une relation sous le format d’un G2 avec les Etats-Unis.

La réponse est délibérément ambiguë à travers l’insistance chinoise à donner des gages en vue de la révision du panier du DTS en 2015, et en s’appuyant sur l’avis récent du FMI selon lequel la devise chinoise n’est effectivement pas sous-évaluée.

L’un des débats de fond est aussi domestique, et en résonance avec le débat entretenu avec les Occidentaux : le système financier et monétaire chinois est il « crédible », « fiable » et peut-il générer une « fiducie » au sens fondateur du terme, c’est-à-dire un cadre reposant sur la confiance mutuelle. La réponse, à en juger par la fuite des capitaux potentielle, à peine compensée ces temps-ci par la constitution toujours plus grande de stocks de devises liées à l’exportation, est naturellement négative.

La Chine doit avant tout redonner confiance à ses propres ressortissants. Sa force économique n’est pas suffisante, parce que les spoliations ont été trop fréquentes dans l’histoire chinoise pour ne pas effrayer les « nouveaux riches » (classe à laquelle appartiennent d’ailleurs les dirigeants ou du moins qu’ils connaissent bien). Or la spoliation, de nouveau, guette, parce que la dette du pays n’est plus compensée par la perspective d’un tassement de la croissance. Des faillites apparaissent, le système bancaire doit être protégé, tout ceci ne peut se faire dans une ouverture totale telle que les Occidentaux la souhaiteraient.

4. La créativité chinoise a donc particulièrement été à l’œuvre en 2014, pour faire face à ces différentes contradictions et contraintes :

-* Tout d’abord il s’est agi de contrôler les bulles financières créées par le marché immobilier financé par des liquidités occultes ou canalisées par l’absence de toute autre alternative de placement ;

  • Ensuite il s’est agi de piloter une politique monétaire délicate où le contrôle de cette masse monétaire devait éviter pour autant un « hard landing » C’est alors que l’ouverture partielle du compte de capital, de plus en plus annoncée, a été accélérée à travers l’invention de mécanismes sophistiqués permettant d’investir plus facilement sur les bourses de Shanghai et de Shenzhen.

Cependant il s’agit moins de se plier à des normes internationales d’ouvertures des comptes de capitaux comme l’index américain MSCI a feint de le croire que de créer une alternative au tarissement des financements bancaire de l’économie chinoise (plus de 200 % du PIB hors dette publique). Rapatrier des fonds « évadés » en faisant comprendre les risques d’un effondrement possible du système bancaire chinois du fait du ralentissement a été en réalité le moteur de cette ouverture.

5. Entre jeux d’ombre et débat intérieur. La Chine est sans doute peu transparente et souhaite le rester, en particulier sur des sujets aussi sensibles que les sujets monétaires. Néanmoins il est probable qu’à ce stade les deux options sont conservées par la Chine : soit s’intégrer progressivement au système « post-Bretton Woods » avec les risques qui ont été largement identifiés depuis longtemps et testés pendant la crise de 2008, soit inventer en coopération avec un « glacis » de pays dépendants, compatissants ou partageant les mêmes ambitions, un nouveau système, régional, interrégional mais en tout cas international mais pas global.

Ce système pourrait avoir pour origine la nouvelle BAII, centrée autour de la Chine, ou bien les contrats gaziers avec la Russie, prémisses peut-être d’une déconnexion des échanges de matières premières et du marché du dollar. En tout cas la construction d’une « zone renminbi » est en marche. A-t-elle pour ambition d’être suffisamment importante un jour pour imposer ses règles (fixité quasi reconnue des parités de change, indexations sur des sous-jacents, ou des « étalons » différents du dollar) ou seulement d’être une protection contre un système parallèle dont la Chine se méfie mais dont elle utilise aussi les rouages « libéraux » (pour ses investissements en Europe en particulier) ? C’est encore une question ouverte et à laquelle le débat pourra apporter des éléments de réponse.

En attendant, il est intéressant de voir l’engouement suscité en Europe par la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures. Les transferts de technologie en matière de financement de projets, d’infrastructure, de «  ?crédits sans recours ? » intéressent la Chine.

Les Occidentaux pourront y trouver un levier pour accéder aux marchés chinois et asiatiques relativement fermés. Rien n’exclut cependant que la banque créée n’opère à l’avenir en Europe, là où les capitaux publics destinés aux infrastructures pourraient manquer, du fait des déficits. Et si les financements font sortir la devise chinoise de son relatif isolement de monnaie non convertible, le système monétaire mondial pourrait se réjouir de la diversification apportée à un jeu jusqu’ici dominé par le dollar.

Source : Institut Schiller

Vers les autres discours de la conférence.