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Pour l’ESA, la route pour Mars passe par la Lune

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Les architectes de la société Foster+Partners ont imaginée une base lunaire construites à partir de modules imprimés avec des imprimantes 3 D utilisant la roche lunaire. Pour la construction des dômes, les architectes ont choisi des courbes optimales du type "chaînette", des courbes connues pour leur efficacité depuis la construction du dôme de Florence au XVe siècle par Brunelleschi. Crédit : ESA

Karel Vereycken-

Solidarié&Progrès—Les débats et les films sur des missions habitées vers la planète Mars nous font parfois oublier une autre proposition majeure pour faire le grand saut dans l’espace. Depuis plusieurs années, l’Agence spatiale européenne (ESA) évoque régulièrement son souhait que l’on puisse retourner sur la Lune dans les années 2020.

Plus précisément, l’ESA plaide en faveur de la construction d’une base lunaire à partir de laquelle on pourra lancer des missions martiennes et au-delà.

Ce plan a été présenté le 14 décembre 2015, lors d’un symposium international organisé au Centre de recherche spatiale de l’ESA à Noordwijk aux Pays-Bas. S’adressant aux deux cents experts et scientifiques présents lors de cette rencontre intitulée « Moon 2020-2030 », le nouveau directeur général de l’ESA, l’allemand Jan Wörner, a esquissé le projet Moon Village (Village lunaire) de l’ESA.

Cette proposition figure également dans la « feuille de route globale » élaboré par l’ISECG (Groupe international de coordination de l’exploration spatiale), l’organe de coordination regroupant quatorze grandes agences spatiales, dont la NASA, l’ESA et celles de Chine, Russie, Inde, Allemagne, Japon, etc.

Cette « feuille de route » ne souligne pas seulement l’importance de l’exploration lunaire en tant qu’entreprise commune de l’humanité, elle appelle également à une vision partagée en ce qui concerne son utilisation comme tremplin pour d’autres objectifs à venir. Lorsque le débat s’est engagé sur la participation de l’ESA à cette vision commune, Wörner a détaillé le plan de l’Agence pour la création d’une base lunaire internationale.

Un clic pour Zoomer

Par le passé, reprenant à son compte la vision du savant allemand Krafft Ehrike, Wörner avait déjà évoqué le concept d’une base lunaire pour succéder à la Station spatiale internationale (ISS) dont on cessera de se servir en 2024.

Moon village

La construction d’une telle base créerait également le cadre idéal pour mettre en œuvre de nouvelles technologies et forger des partenariats gagnant-gagnant entre agences étatiques et entreprises privées.

Gérer une base lunaire implique également d’organiser des va-et-vient permanents entre la Terre, l’orbite lunaire et la Lune, donc de disposer de stations relais.

Pour communiquer sur son projet, l’ESA a déjà fait appel au bureau d’architectes Foster+Partners afin de présenter des images de son village lunaire, tandis que d’autres sociétés explorent tous les aspects de la construction.

Le plan propose d’envoyer des équipes d’astronautes vers la Lune au début des années 2020. Coupant court à l’opposition stupide entre missions habitées et missions robotiques, ces astronautes déploieront en éclaireurs une petite armée de robots chargés de créer les conditions propices à l’arrivée de l’activité humaine. Ces robots seront télécommandés, donc pilotés à distance.

Contrairement aux missions Apollo, il ne s’agit plus de tout emporter de l’extérieur, mais d’utiliser au maximum les ressources sur place. Par exemple, en agglomérant la roche lunaire et l’oxyde de magnésium grâce à un liant salé, des imprimantes 3 D installées sur la Lune permettront de fabriquer un grand nombre d’éléments de construction, notamment les parois protectrices de la base.

Travailler en bonne intelligence

Lors du symposium et de plusieurs entretiens avec la presse, Wörner a souligné que ce projet offrirait aux scientifiques de pays très différents une occasion unique de vivre et travailler ensemble en bonne intelligence :

« L’avenir des voyages spatiaux a besoin d’une nouvelle vision. Pour l’instant, nous disposons de la Station spatiale internationale (ISS) comme projet international commun, mais elle ne va pas durer éternellement [elle cessera de fonctionner en 2024, ndt] (…) Cependant, lorsque j’examine la longue liste des exigences que pose un scénario post-ISS, le concept de Village lunaire est le meilleur (…) Et jusqu’à maintenant, personne ne m’a présenté de meilleure idée. (…) Maintenant, lorsque je dis Village lunaire, cela ne veut pas dire une rangée de maisons individuelles, avec une église, une mairie et une salle polyvalente… Mon idée n’a trait qu’au concept essentiel de village : des gens travaillant et vivant au même endroit. Et cet endroit serait la Lune. Dans ce village, on aimerait accueillir les différentes contributions des pays spatiaux. Les uns apporteront des imprimantes 3 D, les autres des rovers et d’autres encore des astronautes. Les participants pourront aussi travailler dans des domaines différents. Certains ne feront que de la science pure alors que d’autres s’intéresseront à l’exploration minière ou au tourisme…  »

Ce qui est clair, c’est que l’intérêt d’une telle base dépassera largement la Lune en tant que telle. Pour Wörner :

« Le village lunaire doit se construiresur la face lunaire que nous ne voyons jamais depuis la Terre, appelée la ‘face cachée’ de la Lune, à ne pas confondre avec la Dark Side of the Moon, titre de l’album du groupe Rock Pink Floyd. En réalité, cette face cachée est aussi brillante que la ‘face visible’ ». L’intérêt de la face cachée, c’est l’absence d’interférence d’ondes et de rayonnements venant de toutes nos antennes et radios terrestres. Là-bas, avec un radiotélescope à l’ombre de la Lune, on aura une belle vue de l’univers. »

L’autre intérêt, c’est de faire de la Lune un point de ravitaillement. NexGen Space LLC, un consultant de la NASA, a récemment démontré qu’une base lunaire serait un tremplin crucial pour le trajet vers Mars. Selon cette société, si une base lunaire permettait de ravitailler en combustible des vaisseaux partant de la Terre en direction de la planète rouge, on économiserait environ 10 milliards de dollars par an.

Par ailleurs, les astronautes travaillant sur la Lune s’exposeront à des types de rayonnements cosmiques auxquels ils échappent pour l’instant en travaillant dans la Station spatiale internationale (ISS), qui tourne en orbite autour de la Terre. Mieux connaître et évaluer l’impact de ces rayonnements sur la vie humaine sera d’un intérêt immense pour préparer les missions futures vers Mars et au-delà.

L’intérêt supplémentaire d’une présence internationale sur la Lune serait de consolider le « traité de l’espace ». Signé en 1967, ce traité stipule que

l’exploration et l’utilisation de l’espace se feront exclusivement au bénéfice et dans l’intérêt de tous les pays, et qu’il doit être la province de l’humanité tout entière.

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Le nouveau directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA), Johann-Dietrich Wörner, défend le projet d’un village lunaire comme successeur à la Station spatiale internationale (ISS) à partir de 2024. Crédit : ESA

Wörner a précisé la genèse de son plan :

« Lorsque je l’ai mentionné pour la première fois, c’était une sorte de ballon d’essai, pour voir s’il y avait un intérêt pour une collaboration internationale dans l’exploration spatiale à l’avenir. Et maintenant, je peux vous le dire : oui, cette partie de la question a reçu une réponse positive. Il existe un très grand intérêt au niveau mondial pour entreprendre ensemble une exploration commune dans un contexte international, ce qui est, je crois, très important. »

Cet accueil positif a conduit Wörner à la conviction qu’un jour sa proposition deviendra réalité.

« Plusieurs grands acteurs du spatial m’ont dit : ‘D’accord, de toute façon, nous planifions une mission lunaire, autant la combiner avec l’idée de Village lunaire’. Et ceux qui, à la NASA, travaillent sur les missions martiennes m’ont également fait part de leur intérêt. »

Wörner a précisé qu’il n’avait pas encore sollicité d’engagements politiques ou financiers de pays membres de l’ESA, mais qu’il allait présenter son plan lors du Conseil des ministres à la fin 2016, non pas pour demander des financements, mais simplement pour voir quel type d’activité envisager après l’ISS.

« Cependant, je crois que dans nos gènes, il existe quelque chose qui va au-delà les considérations purement pratiques (...) Nous aimons découvrir, d’êtres des pionniers - c’est propre à l’espèce humaine et c’est ce qui nous conduit vers le futur. »

Avec le départ d’Obama, un Président qui a tenté de bloquer tous les programmes ambitieux de la NASA, et avec la mise en œuvre immédiate d’un nouveau système financier international, le monde occidental pourrait sans doute s’engager plus librement avec ses partenaires des BRICS pour accélérer de plusieurs crans le calendrier.