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Manifestations de masse : mais que se passe-t-il en Roumanie ?

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Par Rodica Buciumean.

Le vent du changement souffle aussi en Roumanie, mais pas dans la direction à laquelle vous pensez. Vous avez sans doute entendu parler des manifestations récentes contre la corruption à Bucarest et vous avez peut-être de la sympathie pour ce mouvement. Vous avez peut-être également entendu parler des mesures de l’OTAN pour « rassurer » l’Europe de l’Est, et du bouclier anti-missiles installé par les Américains à Deveselu, en Roumanie, une provocation majeure vis-à-vis de la Russie. On ne devrait pas séparer les deux réalités : comme on a pu le voir en Ukraine avec le mouvement « Maidan », les protestations de masse peuvent être cyniquement utilisées pour atteindre des buts géopolitiques.

11 décembre, un résultat électoral surprenant

Pour comprendre les enjeux, le premier aspect à prendre en compte est le résultat à l’élection parlementaire du 11 décembre 2016, quand le Parti Social Democrate (PSD) dirigé par Liviu Dragnea a gagné. Une dynamique similaire au vote pro-Trump anti-establishment confirme le changement plus général en Europe de l’Est. La campagne était dirigée contre l’austérité, sur des sujets d’intérêt national et certains candidats ont même vociféré contre les réseaux de Soros. Résultat ? Les socialistes ont obtenu un record historique de 45% des votes, tandis que le Parti National Libéral, qui a fait campagne autour des « valeurs européennes », contre la corruption et contre l’encerclement par la sphère d’influence Russe, est tombé à un niveau bas historique de 20%, et ce malgré les efforts de la presse et de l’ambassade américaine. La Roumanie est une république semi-présidentielle, la majorité parlementaire formée par le PSD et ALDE (les centristes) a formé le nouveau gouvernement. Cependant, le président Klaus Iohannis, un libéral pro austérité bruxelloise, s’oppose à la majorité social-démocrate et mobilise les jeunes Roumains et les autorités de l’UE contre les socialistes « corrompus ». Cette cohabitation difficile crée une instabilité et certains socialistes parlent même de destituer le président, la prochaine élection présidentielle étant en 2019.

Une politique « plus pragmatique » avec les pays du groupe BRICS ?

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Nouvelle Solidarité N° 13/2016 - S’abonner

Le deuxième aspect qu’il faut prendre en compte est que, malgré les rapports des médias sur la Roumanie qui la présentent comme un pays fortement anti-russe et pro-Union Européenne, la réalité est plus nuancée. Les positions officielles roumaines concernant la Russie sont alignées avec (pour ne pas dire « dictées par ») l’ambassade des Etats-Unis. Les décisions que l’administration Trump prendra dans le cadre de sa politique vis-à-vis de la Russie pourraient créer une nouvelle architecture de coopération régionale en Europe de l’Est. Concernant l’administration Trump, contrairement aux socialistes occidentaux, ceux de Roumanie étaient fiers de participer à l’investiture du nouveau président américain. Le Premier Ministre roumain, Sorin Grindeanu et le président du parlement et du PSD, Liviu Dragnea, ont participé à l’investiture de Trump et M. Dragnea publiait le lendemain un communiqué évoquant la « discussion informelle très bonne » avec Michael Flynn, l’ex conseiller national de sécurité du président Trump.

En Roumanie, l’opinion publique s’oriente de plus en plus contre l’austérité de l’UE et contre ce que les gens perçoivent comme « l’occupation américaine », à cause du niveau de vie très bas, le pillage, la démolition de l’outil industriel et la dépopulation du pays.

Deux chiffres illustrent ceci : en 1989 la Roumanie comptait 23 millions d’habitants, aujourd’hui elle n’en compte plus que 19,9 millions, soit un taux de dépopulation semblable à celui de la deuxième guerre mondiale.

Une partie importante de la population roumaine, habitant à la campagne ou dans les petites villes, a compris que le beau rêve européen n’a apporté en réalité que la désindustrialisation, l’exploitation de la population et des ressources du pays par les compagnies multinationales, bénéficiant uniquement à quelques grandes métropoles et aux catégories supérieures de la population.

Une dynamique de changement était devenue visible en 2013, avec les positions du Premier Ministre Victor Ponta, du PSD.

Il avait invité cette année-là Li Keqiang, Premier Ministre chinois, le drapeau de l’UE étant remplacé par celui de la Chine lors de son discours devant le parlement roumain.

Cette visite officielle couplée avec le sommet de la Chine-Europe de l’Est de Bucarest , provoqua un optimisme insoupçonné autour de projets d’infrastructures et des opportunités de coopération.

En 2013 également, Victor Ponta avait déclaré :

Avoir une relation plus pragmatique avec la Russie, d’abord du point de vue économique et ensuite, bien sûr, politique, je pense, est une chose qui, ne peut qu’être bénéfique pour la Roumanie.

En 2015 on le vit à Bakou non loin de Poutine, lors de l’inauguration des Jeux Européens, ce qui eut pour effet de rompre le boycott des politiciens européens. Cependant la poursuite de la politique de coopération avec l’OTAN et du plan de base américaine du bouclier anti-missiles à Deveselu ainsi que la rhétorique anti-russe, créent pour dire le moins une situation paradoxale.

Le même Victor Ponta, devenu maintenant parlementaire, a publié le 14 janvier 2017 un communiqué sur Facebook où il compare les opérations des Etats-Unis en Roumanie avec les abus de l’URSS. Afin d’illustrer ces abus, il a joint à ce communiqué une lettre d’Hillary Clinton, datant de 2012, où elle exerçait tout en finesse diplomatique un véritable chantage. Dans le même texte Ponta exprime l’espoir de voir les Roumains apprendre des erreurs du passé, comme l’administration de Trump a appris des erreurs d’Obama.

Dans son communiqué, Ponta se réfère à un article écrit par une journaliste roumaine qui appelle à une intervention étrangère « contre la corruption » du PSD, parti sorti gagnant à l’élection de décembre. Ponta écrit :

Ceux qui se rappellent l’histoire constatent que cet appel ressemble de façon frappante à celui lancé par des propagandistes du Parti Communiste Hongrois en 1956 au ’Grand Frère’ URSS qui devait envoyer des forces libératrices contre les ’turbulents’ voulant ’changer l’orientation politique du pays’ , à la seule différence que maintenant l’appel est adressé non pas à l’URSS, mais aux Etats-Unis (d’ailleurs l’attitude de Monsieur l’Ambassadeur Klemm ressemble étonnamment à celle de l’Ambassadeur de l’URSS à Budapest en 1956 !).

Pour ceux qui ne le savent pas, il se réfère à l’intervention armée de l’URSS en 1956 contre les étudiants hongrois qui souhaitaient voir la Hongrie sortir du Pacte de Varsovie, et affirme que la situation actuelle est la même, à la différence-près que l’OTAN a remplacé le Pacte de Varsowie.

Afin d’illustrer les abus systématiques contre la Roumanie, Ponta publie ensuite une lettre qu’Hillary Clinton lui avait envoyée en 2012. Dans cette lettre, Clinton intervient auprès de Ponta, alors Premier ministre, afin qu’il mette fin à sa mobilisation pour la destitution du président Basescu, un atlantiste aux méthodes mafieuses. Nous citons cette lettre :

Ces manœuvres pourraient également affecter la confiance dans les affaires en Roumanie. Ceci implique une baisse de la confiance en la Roumanie à respecter les conditions des accords internationaux, comme celui conclu avec le Fonds Monétaire International, nécessaire pour la santé budgétaire du pays et la stabilité de sa monnaie.

Cette lettre met en lumière une véritable dictature financière, Clinton exerçant un chantage main dans la main avec le FMI et les spéculateurs sur les monnaies nationales.

Paradoxe : la très corrompue guerre anti-corruption

La Roumanie a été récemment présentée dans les médias comme un pays profondément corrompu et les efforts des juges anti-corruption ont été vantés à l’échelle internationale. La réalité est plus compliquée. Une stratégie d’intimidation a été déployée depuis une dizaine d’années afin d’assurer la soumission du pays à l’orientation anti-BRICS et à l’austérité dictée par Bruxelles. Son nom est « lutte anti-corruption », comme au Brésil et en Argentine où les dirigeants pro-BRICS ont été éliminés avec l’aide de mouvements de masse et de procès anti-corruption. Beaucoup de procès ont été abusifs, lancés par un appareil très puissant formé par la DNA (Direction nationale anti-corruption) et le SRI (Service roumain de renseignement, anciennement la « Securitate »). Beaucoup de ces procès ont été lancés contre des membres du PSD avec un fort appui des médias.

Les opérations DNA-SRI fonctionnent main dans la main avec les nombreuses ONG financées par les réseaux de Soros, qui utilise ses associations pour servir ses objectifs géopolitiques. Ces opérations ont culminé en 2015 par un coup d’état. Sous la menace d’un Maïdan roumain, provoqué par la pression d’une très forte émotion collective suite à la mort de 27 jeunes dans un incendie de boite de nuit, le Premier ministre Ponta a dû démissionner pour éviter des violences. Un nouveau gouvernement de technocrates a été installé par le président Iohannis, avec un effet boomerang lors de la récente élection, le PS revenant au pouvoir, avec le résultat mentionné précédemment.

Les derniers développements de cette dynamique ont été les révélations dans la guerre des oligarques, ouvrant ironiquement la voie à la justice. L’un d’entre eux est l’ancien parlementaire PSD Sébastian Ghita, un homme d’affaires sulfureux sous enquête de la DNA. Ghita publie régulièrement des révélations-vidéo sur la connivence entre la DNA et le SRI visant à fomenter de faux procès à but politique : tout est permis, chantage sur des magistrats, des témoins, incarcération d’innocents. Ses révélations ont provoqué un important débat et la suspension du vice-président du SRI, Gal Florian Coldea, suspecté d’implication dans ces procès. Une commission parlementaire mène l’enquête sur ces abus. Ces efforts finiront-ils par mettre en lumière le rôle du FBI et de la CIA dans cette très corrompue lutte contre la corruption ?

Les débats furent également alimentés par un récent rapport de la « Henry Jackson Society ». Quelques extraits du rapport intitulé « Combattre la corruption par des arnaques : l’assaut de la Roumanie contre l’état de droit » :

Il y a lieu de s’interroger sur le rôle caché des services de renseignement dans la direction des procès anti-corruption. Le SRI effectue chaque année 20 000 d’interceptions téléphoniques au nom de la DNA, lance des enquêtes et considère, le système judiciaire comme un "terrain tactique" d’opérations, selon son propre langage. (...)

Selon Victoria Stoiciu de la Friedrich-Ebert-Stiftung (FES), les tribunaux roumains ont accordé en 2015, 16 fois plus de mandats pour des écoutes téléphoniques que les Etats-Unis. (...)

La controverse a poussé MEDEL, une association représentant des juges de 13 pays européens, a mettre en garde contre le fait que le SRI était en train de ’d’attenter à l’indépendance de la justice et de menacer la démocratie en Roumanie’. (...)

Maintenant que vous en savez un peu plus sur la lutte anti-corruption en Roumanie, vous pouvez vous demander pourquoi la presse établie promeut avec sympathie cette lutte corrompue anti-corruption ? Vous pouvez aussi vous questionner sur les récentes manifestations contre le gouvernement « corrompu », en soutien à la curieuse lutte du binôme DNA-SRI (Serological Research Institute) ’contre la corruption’. Comme le disent certains Allemands de l’Est qui ont acquis une certaine expérience avec les dictatures et la propagande :

Vous devriez peut-être lire votre journal à l’envers pour comprendre la vérité.