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France-Chine, ensemble contre la géopolitique
15 janvier 2018
Christine Bierre
Avant-propos S&P—Lors de son voyage en Chine, du 8 au 10 janvier, Emmanuel Macron a jeté un véritable pavé dans la mare de ses amis occidentaux, en apportant son soutien enthousiaste à l’initiative chinoise de Nouvelle Route de la soie. Ayant porté cette idée sur les fonts baptismaux, Solidarité & Progrès soutient cette politique avec laquelle M. Macron montre une réelle empathie – un soutien cependant sans complaisance. Vous avez, Monsieur Macron, dans votre dialogue avec Xi Jinping, reconnu les excès du capitalisme mondialisé et la fatigue d’un monde occidental incapable d’imaginer de nouvelles épopées. Vous n’avez jamais, cependant, dénoncé les responsables de cette crise ni ébauché la moindre approche pour la combattre. Pire encore, par un courrier livré par Bruno Le Maire, vous avez appelé les principaux prédateurs financiers de Wall Street à venir « soutenir » les investissements en France ; vous leur avez même offert des conditions exceptionnelles pour s’installer dans notre pays. Quant à cette Europe dont vous avez annoncé le retour à Beijing, c’est aussi une Europe livrée, à Bruxelles, aux lobbyistes financiers, tandis qu’à Francfort, la Banque centrale européenne n’est que la courroie de transmission d’un système financier occidental dédié au sauvetage d’institutions bancaires en faillite virtuelle depuis la crise de 2007-2008. Or, à en croire les propos de votre ministre Bruno Le Maire, publiés dans Le Point, c’est sur cette Europe-là, sans la moindre réforme, que vous comptez pour rebâtir nos rêves, en unifiant le marché des capitaux, en obligeant les nations à adopter une Union bancaire qui, en cas de crise, les dépouillera de leurs dépôts bancaires, en abandonnant notre souveraineté fiscale en échange d’un budget européen géré par un ministre européen des Finances, pour financer l’innovation. Vous ne pourrez pas, Monsieur Macron, construire un multilatéralisme équilibré sans, en même temps, combattre ce capitalisme dévoyé. Au risque de perdre tout crédit auprès de notre allié chinois, qui pourrait encore nous soupçonner de stratégie de domination…
En marche sur les Nouvelles Routes de la soie
Emmanuel Macron a saisi l’occasion de son voyage en Chine pour apporter tout son soutien, au nom de la France et même de l’Europe, au projet de Nouvelles Routes de la soie de la Chine, percée qui aura un impact certain sur une Europe et un monde occidental qui n’avaient jusqu’ici exprimé que frilosité et inquiétude à l’égard de ce grand projet. C’est en 2013 que le président chinois Xi Jinping avait proposé au monde ce projet magnifique, prévoyant d’ouvrir les anciennes routes de la soie de la Chine vers l’Europe, par voie terrestre via l’Asie centrale et par voie maritime vers la Méditerranée, en passant par la mer de Chine méridionale, l’océan Indien, la mer d’Arabie et le canal de Suez. Xi Jinping proposait d’investir pas moins de 1000 milliards de dollars dans les infrastructures permettant d’accroître massivement les échanges commerciaux, mais aussi culturels et scientifiques entre la Chine, l’Europe et l’Afrique, en construisant routes, chemins de fer, infrastructures portuaires, ponts, parcs industriels, gazoducs et oléoducs, centrales énergétiques, et en promouvant les échanges universitaires. Un vaste projet de paix et de développement mutuel dans toutes ces zones, avec des centaines de milliers d’emplois à la clé !
En mai 2017, lors d’un Forum Une ceinture, une route à Beijing, le président Xi Jinping renouvela son appel à participation à tous les pays. Depuis cependant, à quelques rares exceptions près, la seule réponse venue des principaux pays d’Europe a été un barrage d’articles signés par des « géopoliticiens », souvent porte-paroles des pires courants néoconservateurs anglo-américains, condamnant ce projet et accusant la Chine de velléités hégémoniques sur le monde. Ce sont ces peurs que le président Macron s’est employé à calmer tout au long de ce voyage de trois jours, où un effort minutieux de pédagogie fut déployé. « Vous avez su, en une génération, trouver en vous la force de devenir l’une des toutes premières puissances au monde ». Or, « c’est précisément, la rapidité de ce changement [qui] peut susciter des craintes, parce que tout ici est plus massif, plus fulgurant, plus assertif qu’ailleurs. » Feuille de route pour une coopération franco-chinoise et sino-européenne Une crainte que ne partagent pas Emmanuel Macron ni la plupart des gouvernements ayant succédé à Charles De Gaulle, qui, en 1964, avait été le premier chef d’Etat d’une puissance occidentale à rétablir les relations avec la Chine, admiratif de ce pays qui avait été pendant des siècles, disait-il, la « principale puissance de l’univers ». C’est dans son intervention à Xi’an, point de départ des anciennes routes de la soie vers l’Occident, qu’Emmanuel Macron a lancé un véritable plaidoyer en faveur d’une coopération gagnant-gagnant avec la Chine :
Emmanuel Macron s’est alors employé à dessiner les contours et les règles réciproques d’une relation nouvelle avec la Chine qui soit gagnant-gagnant. Il l’a fait en tressant dans son discours les concepts d’intelligence, de justice et d’équilibre partagés qui devraient désormais fonder le nouveau partenariat franco-chinois. L’intelligence au service de tous D’abord il appela la Chine, la France et l’Europe à mettre leur intelligence « au service du meilleur », une intelligence comprise au sens politique large, mais aussi un appel à aller ensemble dans des domaines qui intéressent au plus haut point leurs nations : l’éducation, la formation, la recherche, un grand partenariat dans le numérique et dans l’intelligence artificielle. Emmanuel Macron a proposé la création d’un grand institut européen conjoint de sinologie, inspiré de la tradition d’excellence de la sinologie française, et la multiplication de projets culturels conjoints comme l’exposition du Musée Guimet à Paris sur les trésors de la dynastie des Han, et de projets consacrés à l’histoire et l’actualité des Routes de la soie qui pourraient voir le jour prochainement à Paris. Il a aussi fortement encouragé l’étude du français, cinquième langue la plus parlée au monde et qui sera parlée par 700 millions de personnes au milieu du siècle, dont 85 % en Afrique. Un impératif de justice dans le monde C’est ici que notre président est allé le plus loin dans l’autocritique occidentale. Mettant l’accent sur la justice sociale, il a reconnu que la Chine avait effectivement réussi à sortir de la pauvreté 700 millions d’habitants. La lutte contre la pauvreté est aussi un défi pour le monde occidental, a-t-il noté, « qui vit aujourd’hui une crise du capitalisme mondialisé, qui a, durant les dernières décennies, fait exploser les inégalités sociales et la concentration des richesses ». Emmanuel Macron a ensuite évoqué la politique de la Chine en Afrique, plaidant, là encore, pour plus de justice. « La Chine y a beaucoup investi ces dernières années, sur les infrastructures, les matières premières, avec une force de frappe financière que les pays européens n’ont pas. » S’il « appelle de ses vœux cet engagement de la Chine en Afrique », c’est pour bâtir des projets « utiles à la croissance du continent, financièrement soutenables, (…) parce que nous ne devons pas reproduire les erreurs du passé consistant à créer de la dépendance politique et financière, sous prétexte de développement. (…) La France a l’expérience d’un impérialisme unilatéral en Afrique qui a parfois conduit au pire, et aujourd’hui, alors que ces Nouvelles Routes de la soie sont en train de s’ouvrir, je pense que le partenariat entre la France et la Chine peut permettre d’éviter de répéter ces erreurs. » Déséquilibre mondial, Évoquant un passé émaillé de périodes de tension, d’hégémonie, voire même de volonté impérialiste des deux côtés, Emmanuel Macron souligne cependant que c’est leur rapport à « l’universalisme » qui unit nos deux pays et qui fait « qu’ils sont toujours conduits à penser les équilibres du monde. » Après un tour d’horizon sur la question de la Corée du Nord, où les positions sont proches, il a traité de la lutte contre le terrorisme, faisant là aussi son mea culpa et renonçant aux « politiques de changement de régime » sous prétexte d’ingérence humanitaire :
Nouvelles Routes de la soie : Emmanuel Macron a gardé pour la fin le plat de résistance des Nouvelles Routes de la soie, sous forme d’un plaidoyer pour un nouveau multilatéralisme, une coopération équilibrée qui devrait être la base même de la coopération avec ce grand projet chinois. S’adressant aux principaux acteurs de la politique mondiale, Macron a, à sa manière, plaidé pour un ordre débarrassé de toute géopolitique et régi par des relations gagnant-gagnant :
M. Macron s’est dit prêt à travailler aux objectifs de la Nouvelle Route de la soie, proposant même la méthode pour vaincre les méfiances : « C’est une confiance qui se définit à tâtons. C’est le fait de dire qu’on décide de faire un pas puis l’autre et qu’on le décide ensemble. » Ce projet de Nouvelles Routes de la soie peut rejoindre nos intérêts, si nous nous donnons vraiment les moyens d’y travailler ensemble. Car, a-t-il expliqué,
Face à la fatigue occidentale, Pour Emmanuel Macron, l’un des grands mérites de ces Routes de la soie est qu’elles « réactivent un imaginaire de civilisation [et] montrent à tous ceux qui pensaient que nous étions dans un monde fatigué, post-moderne, où les grandes histoires étaient interdites, que ceux qui décident de vivre des grandes histoires peuvent faire rêver les autres. » Au cœur de cet imaginaire, le petit panda offert par la Chine à la France, au nom des plus évocateurs : Yuang Meng, c’est-à-dire « l’accomplissement d’un rêve ». Nous vivons un temps où la France et la Chine peuvent se permettre de rêver ensemble, a conclu Emmanuel Macron.
Une avalanche d’accords Comme à chaque voyage présidentiel, la presse française s’interroge : combien cela va-t-il nous rapporter ? En effet, cela va se concrétiser par la vente d’airbus, d’une usine de retraitement de déchets nucléaires et la levée de l’embargo sur la viande bovine dans les six mois à venir. En clair, entre 30 et 40 milliards d’euros de profits en perspective et des milliers d’emplois pour les Français, en France et dans le monde. Mais lorsqu’on regarde en détail, il y a tellement plus et de plus excitant en termes de partenariats à nouer et de champs de connaissance et de coopération à conquérir ensemble. Accords commerciaux signés en présence des Présidents Xi Jinping et Emmanuel Macron :
Accords institutionnels :
-* Arrangement administratif en matière de coopération dans le domaine de la santé ; -* Mémorandum de coopération entre Airbus SAS et la Commission Nationale pour le Développement et la réforme (NDRC) sur l’activité industrielle concernant l’A320 ; -* Déclaration conjointe en matière de l’intention de l’approfondissement de coopération dans le domaine agricole ; -* Accord de coopération entre la Standardization Administration of China (SAC) et l’Association française de normalisation (AFNOR) ; -* Mémorandum d’entente en matière de coopération sur l’économie du vieillissement ; -* Arrangement administratif dans le domaine de la protection du patrimoine ; -* Mémorandum de coopération pour l’établissement d’une université franco-chinoise de l’aviation à Hangzhou (Ecole Nationale d’Aviation Civile). Accords commerciaux signés en présence des ministres :
Source : Site de l’ambassade de France à Beijing Fusion nucléaire
A cela il faut ajouter la signature à Beijing, les 23 et 24 novembre, en marge de la réunion de haut niveau préparant le voyage d’Emmanuel Macron, d’un accord majeur sur la coopération franco-chinoise dans le domaine de la fusion thermonucléaire contrôlée, pour la création entre le CEA, les autorités chinoises et les instituts de recherche les plus avancés dans ce domaine en Chine, d’un centre franco-chinois sur l’énergie de fusion (SIFFER, Sino-French Fusion Energy Center). Accompagnée d’une Déclaration politique intergouvernementale signée en présence de M. Jean-Yves Le Drian, notre ministre des Affaires étrangères, et de Madame Liu, vice-présidente de la République populaire de Chine, cet accord promeut la recherche dans ce domaine au plus haut niveau politique, renforçant ainsi la coopération déjà engagée par le CEA et les instituts chinois de recherche travaillant sur la fusion nucléaire, notamment sur ITER à Cadarache en France. Rappelons qu’à masse égale, la fusion d’atomes légers comme l’hydrogène libère une énergie près de quatre millions de fois supérieure à celle d’une réaction chimique telle que la combustion du charbon, du pétrole ou du gaz, et quatre fois supérieure à celle des réactions de fission nucléaire. |