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Faillite d’Evergrande : un vent de panique traverse le Titanic financier

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S&P—A l’approche des « Ides d’octobre » (la saison propice aux krach financiers), une panique très palpable a gagné les marchés. Avec la menace de faillite d’Evergrande, un mastodonte chinois de l’immobilier plongé jusqu’au cou dans la pyramide de Ponzi du shadow banking mondial, le fantôme du krach de 2008 revient hanter les places financières occidentales, treize ans après.


Janet Yellen et la peur du défaut américain

Dimanche 19 septembre, la secrétaire américaine du Trésor Janet Yellen a fait une sortie très remarquée dans le Wall Street Journal, brandissant le risque de « crise financière historique » si le Congrès ne relevait pas le plafond de la dette. «  Le défaut pourrait déclencher une flambée des taux d’intérêt, une chute brutale des cours des actions et d’autres troubles financiers », prévient-elle.

Depuis le 1er août, le plafond de 28 400 milliards de dollars a été atteint, et sans un vote du Congrès pour le rehausser, le Trésor américain ne peut plus émettre de nouveaux emprunts pour se financer. Tout en rappelant que jamais les Etats-Unis n’ont fait défaut, Janet Yellen met en garde contre le risque de catastrophes financières en cascade : « En quelques jours, des millions d’Américains seraient à court de cash (…). Près de 50 millions de personnes âgées ne recevraient plus leur chèque de retraite et les soldats ne seraient plus payés ».

Il faut dire que ce problème est récurent aux Etats-Unis, en raison du fait que seul le Congrès a la prérogative du relèvement du plafond de la dette ; en particulier depuis que l’économie physique a été découplée du secteur financier, dans les années 1970, et que les Etats-Unis compensent le déficit de production de richesse réelle par un endettement insensé. Ainsi, en près de soixante ans, le plafond de la dette a été relevé ou suspendu environ 80 fois, toujours sur fond de lutte politicienne entre Républicains et Démocrates, sans jamais remettre en cause la dérégulation et la fièvre spéculative qui détruisent l’économie.

Evergrande, potentiel détonateur

C’est dans ce contexte que la crise d’Evergrande s’est invitée sur le pont du Titanic, plongeant la planète finance dans le désarroi. Face au risque de défaut sur sa dette de 300 milliards de dollars, les actions du géant chinois de l’immobilier ont chuté lundi de 18,9% à la bourse de Hong-Kong, créant une onde de choc sur les marchés internationaux, et faisant craindre un événement « Lehman Brothers », comme en 2008, c’est-à-dire une réaction en chaîne des défauts de paiement, conduisant à une crise systémique.

Evergrande représente 2% du PIB de la Chine, avec environ 200 000 employés, et quelque 800 projets en construction, dont plus de la moitié ont été interrompus en raison de sa pénurie de liquidités. De plus, 3,8 millions d’emplois en dépendent, dans des milliers d’entreprises en amont et en aval. Ce n’est donc pas rien. Toutefois, ce qui inquiète avant tout les marchés financiers, c’est qu’un défaut potentiel du géant chinois, qui possède de grandes quantités d’obligations offshore à taux d’intérêt élevé, risque de s’étendre aux marchés en dehors de la Chine.

Comme le rapporte le média privé chinois Caixin, le problème principal est l’inconnue de la « dette hors bilan massive » : « Une défaillance potentielle d’Evergrande pourrait se propager aux marchés en dehors de la Chine, étant donné que la société a d’énormes obligations offshore à taux d’intérêt pouvant atteindre 15 % ». Selon UBS, 19 milliards de dollars du passif d’Evergrande sont constitués d’obligations offshore en circulation. Ainsi, de fortes inquiétudes pèsent sur un potentiel défaut de paiement sur les 83 millions de dollars, dont l’échéance de paiement arrive ce jeudi 23 septembre, car il pourrait toucher les intérêts de fonds ou banques étrangers tels que Fidelity, UBS, HSBC, Pimco, Blackrock et Allianz Dynamic.

Renflouer les fonds spéculatifs ou sauver l’économie réelle ?

Cependant, la grande question est de savoir ce que fera le gouvernement chinois : va-t-il procéder à un renflouement – comme l’ont fait les yeux fermés les Etats puis les banques centrales occidentales depuis 2008 ? « Le message de Wall Street sur Evergrande : La Chine a tout sous contrôle », titre mardi l’agence américaine Bloomberg, pour tenter de rassurer tout le monde. Et d’affirmer, sans rire, que « les analystes de Wall Street font confiance au Parti communiste chinois ». D’après onze « analystes » de Citigroup à UBS, Barclays, etc., interrogés par Bloomberg, nous ne serions « pas dans un moment Lehman » ; les craintes de contagion seraient exagérées, car « le gouvernement [chinois] a la volonté et la capacité d’intervenir si le marché panique  ».

Il ne semble pourtant pas que Beijing envisage de renflouer Evergrande. Le 16 septembre, le rédacteur en chef du Global Times, Hu Xijin, a déclaré sur son compte WeChat que le géant de l’immobilier allait devoir se tourner vers les marchés pour trouver son salut, et non vers le gouvernement.

C’est le comble de l’ironie : alors qu’au cours de la dernière décennie, les néolibéraux occidentaux ont abusé de l’interventionnisme de l’État pour renflouer les banques et les fonds spéculatifs, voilà qu’un régime communiste, régulièrement décrié comme « autoritaire » et « ultracentralisateur », laisse les « mécanismes du marché » décider du destin d’Evergrande !

La raison en est simple : si les bulles financières existent bel et bien en Chine, comme celle-ci dans le secteur de l’immobilier, le système bancaire commercial est isolé de la spéculation, grâce à un régime de séparation des banques ; par conséquent, l’Etat chinois peut parfaitement décider de ne pas se soumettre au chantage du « Too big to fail », et de couper la branche pourrie tout en sauvegardant les emplois et les entreprises menacés. C’est ainsi que les 16 et 17 septembre, la banque centrale chinoise a injecté 90 milliards de yuans afin de garantir le paiement des salaires et d’offrir des compensations aux petits investisseurs chinois impactés par la crise d’Evergrande.


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