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News / Brèves

Société et économie - Gottfried Leibniz

30 septembre 2012

S&P—Nous publions ici le tout premier texte sur l’économie écrit par Leibniz ; en 1671, moins d’un an avant son arrivée en France, en mars 1672. L’Académie royale des Sciences, organisée par Jean-Baptiste Colbert s’inspira de cette conception de « Société  » présentée par le jeune Leibniz. Cette notion est également au coeur du concept d’« économie physique » inventé par Lyndon LaRouche.

En faisant en sorte que les biens manufacturés soient produits localement plutôt qu’importés, le monopole est évité puisque notre Société est toujours encline à fournir les produits à leur juste prix, ou même dans beaucoup de cas à meilleur marché. Elle écartera particulièrement la formation de tout monopole de marchands ou corporation d’artisans et évitera l’accumulation excessive de la richesse par les marchands ou l’appauvrissement excessif des artisans - ce qui est particulièrement le cas en Hollande, où la majorité des marchands mène grand train alors que les artisans sont maintenus dans une continuelle pauvreté et soumis à un dur labeur. Ceci est nuisible à la République puisque même Aristote reconnaît que l’artisanat doit être une des activités les mieux rémunérées. « Nam Mercatura transfert tantum, Manufactura gignit » (car le marché ne peut offrir que ce que les manufactures produisent). Et, en effet, pourquoi tant de personnes devraient-elles se trouver dans la pauvreté et la misère pour le profit d’une si petite poignée d’individus ? Le fermier ne vit pas dans le besoin puisque son pain est garanti, et le marchand possède plus qu’il n’en faut. Le restant de la population se retrouve soit sans ressources soit au service du gouvernement (État). La Société peut identiquement satisfaire tous les besoins du fermier, pourvu qu’elle lui achète toujours ses denrées à un prix suffisamment juste, qu’il soit bas ou élevé. Nous pouvons ainsi nous prévenir pour toute l’éternité des pénuries alimentaires d’origine naturelle puisque la Société peut constituer une réserve générale de céréales.

Avec l’établissement d’une telle Société, nous éliminons une source de régression profondément ancrée dans beaucoup de nos républiques, consistant à permettre à tout un chacun de subvenir à ses besoins comme bon lui semble, de devenir riche aux dépens d’une centaine d’autres, ou de faire faillite, entraînant dans sa chute la centaine de personnes qui s’était placée sous sa responsabilité. Rien n’empêche un individu de ruiner sa propre famille, comme rien ne l’empêche de dilapider son propre fonds ou celui d’autrui.

Objection : Est-ce que l’argent devrait être investi dans d’autres pays ? En aucune façon. Chaque pays devra, au contraire, se doter des capacités lui permettant de produire ces biens nécessaires et produits manufacturés qui, auparavant, venaient de l’étranger, afin qu’il ne doive pas se procurer chez d’autres ce qu’il peut produire lui-même ; chaque pays se verra indiqué comment adéquatement exploiter ses propres ressources. Dans un pays qui possède suffisamment de laine, on devra installer des manufactures pour la préparation du tissu ; un pays ayant abondance de lin occupera sa population à la production de vêtements ; et ainsi de suite. Ainsi, aucun pays parmi ceux qui offrent le degré adéquat de liberté à la Société, ne sera favorisé par rapport à un autre ; plutôt, chacun se verra prospérer dans les secteurs où Dieu et la Nature lui auront permis d’exceller.

Les manufactures devront ainsi toujours être installées au point d’origine des produits ; alors que le commerce, en accord avec la nature, sera situé le long des rivières et des océans - un arrangement qui ne se trouve brisé (les manufactures se retrouvant près de centres de commerce, loin des matières premières) que lorsque la nécessaire Société et la cohésion font défaut en plusieurs endroits, particulièrement là où il n’y a pas de républiques.

Une grande source de régression de beaucoup de républiques et pays est que beaucoup de régions ont plus d’étudiants (sans mentionner les sans emplois) qu’ils n’ont d’artisans. Or cette Société peut offrir une activité pour tous, et elle a besoin de ses étudiants pour leurs continuelles conférences et joyeuses découvertes. Cette Société peut laisser à d’autres le soin de subvenir aux infortunés - par exemple, de pourvoir à la détention des criminels, ce qui est d’un grand bénéfice pour la république.

On pourrait objecter que les artisans ne travaillent aujourd’hui que par nécessité ; si demain tous leurs besoins étaient satisfaits, ils ne devraient plus travailler du tout. Je maintiens, cependant, le contraire, (à savoir) qu’ils seraient heureux de produire au-delà de ce qu’ils font maintenant par simple nécessité. Car si un homme n’est pas avant tout assuré de sa subsistance, il n’a ni le cœur ni l’esprit pour quoi que ce soit, il produit seulement ce qu’il espère vendre (ce qui n’est pas une bien grande quantité, en raison de son faible nombre de clients), se préoccupe de banalités et n’a pas le cœur à entreprendre quoi que ce soit de grand et de nouveau. Il gagne donc peu, s’adonne souvent à la boisson pour tromper son propre désespoir et noyer sa tristesse, et est tourmenté par la malice de ses ouvriers. Mais là tout sera différent : chacun sera heureux de travailler parce qu’il saura ce qu’il a à faire. Jamais il ne se retrouvera involontairement sans travail, comme il l’est actuellement, puisque personne ne travaillera pour lui-même, mais plutôt en coopération ; et si l’un possède trop et l’autre pas assez, alors le premier donnera au second. De l’autre côté, aucun artisan ne sera subitement obligé - comme c’est actuellement parfois le cas - de se tourmenter et de tourmenter ses hommes par un labeur exagéré, puisque la quantité de travail sera toujours maintenue plus ou moins constante. Les ouvriers travailleront ensemble, faisant à qui mieux mieux leur ouvrage dans la joie commune du travail bien fait, et les maîtres prendront soin eux-mêmes du travail qui nécessite plus de connaissances. Aucun maître ne sera contrarié par le fait qu’un ouvrier intelligent puisse désirer devenir maître lui-même, car en quoi cela pourrait-il lui nuire ? Le logement, l’alimentation et les besoins de l’ouvrier seront pris gratuitement en charge pour tous les travailleurs. Aucun maître ne devra s’inquiéter de comment pourvoir aux besoins de ses enfants et les bien marier. L’éducation de ses enfants sera prise en charge par la Société ; les parents seront soulagés de la tâche d’éduquer leurs propres enfants : tous les enfants, lorsqu’ils sont jeunes, seront systématiquement élevés par des femmes dans des établissements publics. Une attention scrupuleuse sera portée à ce qu’ils ne soient pas trop entassés les uns sur les autres, qu’ils soient tenus propres, et qu’aucune maladie ne prenne naissance. Qui pourrait vivre d’une manière plus heureuse que celle-là ? Les artisans travailleront ensemble avec joie dans les grandes salles de l’entreprise, chantant et conversant, à l’exception de ceux dont le travail requiert plus de concentration.

Le gros du travail sera accompli le matin.

Tous les efforts seront faits pour fournir des plaisirs autres que ceux de la boisson - par exemple, des discussions à propos du métier et le récit de toutes sortes d’histoires drôles, au moyen desquelles ils devront pouvoir trouver de quoi rassasier leur soif, comme le fait 1’« acida ». II n’est de plus grand plaisir pour un homme sensé, ou pour tout homme s’y accoutumant, que de se trouver dans une assemblée où des choses agréables et utiles sont discutées et donc tout groupe, y compris les artisans, devrait avoir quelqu’un qui prenne note des remarques utiles qui pourraient être faites. Mais la plus haute règle de la Société sera d’encourager l’amour véritable et la confiance parmi ses membres, et de n’exprimer rien d’irritant, de méprisant ou d’insultant à autrui. En effet, même les chefs d’Etat devraient éviter toute insulte blessante, sauf dans le cas où rien d’autre n’est efficace, puisqu’un tel comportement empêche la confiance de s’établir. Aucun homme ne sera tourné en ridicule pour avoir commis une erreur, même si elle est grave ; au contraire, il devrait être réprimandé d’une manière fraternelle et, en même temps, puni immédiatement et justement. La punition consistera en un plus grand et plus lourd travail, le maître se voyant attribuer un travail d’ouvrier, et l’ouvrier celui d’un apprenti.

Les vertus morales seront propagées à l’extrême et, autant que possible, selon le principe « Octavii Pisani per gardus » (selon Octavius Pisa, par degrés successifs). S’il est constaté que deux personnes ne peuvent pas résoudre leur différent, elles seront séparées. Les mensonges seront également punis. « Sed haec non omnia statim initio publicanda » (que ceci soit publié comme une introduction, même si elle est incomplète).