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Mars, le lac Tchad et la bactérie

8 mai 2016

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L’idée est venue lorsqu’en août 1987, quelques micro-algues réussissent à faire leurs preuves lors d’un voyage à bord d’une sonde spatiale chinoise. Crédit : ESA

Pour les formalistes, le paradoxe doit sembler de taille : «  quel lien peut réunir l’exploration de Mars, un centre de recherche sur le nucléaire en Belgique, le lac Tchad et les problèmes alimentaires frappant l’Afrique ?  ».

Pourtant, la réponse est d’une simplicité éclatante : il s’agit de la cyanobactérie de type Arthrospira, connue sous le nom de « spiruline » ! Pour vous permettre de comprendre, reprenons un par un les points abordés.

Espace

Parmi les nombreux défis à surmonter pour pouvoir envoyer un homme dans l’espace, ceux de son alimentation et de ses déchets. Il faut savoir que pour survivre, chaque humain a besoin, en moyenne, d’1 kg de nourriture par jour auquel il faut rajouter 1 kg d’oxygène et 3 kg d’eau (sans compter les eaux d’hygiène et de lavage).

Ainsi, pour des missions de longues durées dans le désert, dans l’espace ou sur le pôle nord, c’est donc des tonnes de consommables qu’il s’agit. D’où l’idée des grandes agences spatiales d’inventer des systèmes capables de les produire et de les recycler lors du trajet ou en vase clos dans des environnements « hostiles ».

La bactérie

Parmi les projets en cours, le projet MELISSA (Micro-Ecological Life Support System Alternative), lancé en 1989 par l’Agence spatiale européenne (ESA). Scrutant les merveilles de la création, les chercheurs ont eu l’idée d’utiliser un ensemble de bactéries et de plantes afin de récupérer le dioxyde de carbone et les déchets de l’équipage pour en faire de l’air respirable et de la nourriture.

Pour réaliser le projet MELISSA, l’ESA travaille avec de nombreux centres de recherche sur le continent. Parmi eux, le centre de recherche nucléaire de Mol (SCK-CEN), à 50 km d’Anvers en Belgique, travaille depuis plusieurs années sur la culture, en conditions extrêmes, de la spiruline, une cyanobactérie (un embranchement de bactéries autrefois appelée « algue bleu-vert  ») pressentie pour être utilisée essentiellement comme nourriture et comme génératrice de di-oxygène , consommés par les astronautes lors des missions à longue durée nécessitant une certaine autonomie.

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Récolte de spiruline au Tchad.

La spiruline n’est donc pas vraiment une plante mais une micro-algue. Elle existe depuis 3,5 milliards d’années mais ce n’est que dans les années 60 qu’un botaniste belge, Jean Léonard, l’a redécouverte. Il ne comprenait pas pourquoi une tribu du lac Tchad était mieux portante que d’autres et a découvert que ses membres mangeaient de la spiruline, qui pousse spontanément dans les eaux du lac. A l’autre bout du monde, un des soldats du général espagnol Cortez en décrit, au XVIe siècle, la consommation chez les Amérindiens.

L’Afrique

Pleine de vertus pour la santé (protéines, vitamines, fer, béta-carotène, oligo-éléments, etc.) la spiruline est présentée comme l’aliment le plus riche, après le lait maternel. Paradoxalement, ce sont les lacs salés du Tchad qui fournissent chaque année 400 tonnes de ce super aliment qui prévient la malnutrition infantile.

C’est pour cela que l’ONG Antenna Technologies France œuvre à la création de fermes de spiruline pour lutter contre la malnutrition des enfants en Afrique. « Nous, ce qu’on voudrait, c’est que les gouvernements locaux s’intéressent un peu plus à la spiruline qui, en plus d’être un excellent nutriment, permet également de créer des emplois et de créer des activités. Au Togo, ils font des jus ananas-spiruline. Ça peut être introduit dans des laitages, dans une alimentation quotidienne et régulière en fait », avance Diane de Jouvencel, déléguée générale de l’ONG.

Les avantages de la spiruline

Source : ATF.

  • Efficace : 1 à 3 grammes de spiruline par jour pendant 4 à 6 semaines suffisent à rétablir un enfant malnutri.
  • Solution locale et durable : le complément alimentaire est produit et distribué localement. • Solution autonome : les fermes de spiruline, une fois autonome, crée des revenus pour la population locale.
  • Production simple et maîtrisée.
  • Un rendement élevé (entre 5 et 6 grammes de produit sec par jour et par m²).
  • Rapportée à la quantité de protéine produite, la spiruline requiert très peu d’espace (15 fois moins que la canne à sucre, 20 fois moins que le soja et 250 fois moins que le riz).
  • La culture de la spiruline requiert très peu d’eau (3 ou 4 fois moins que le soja, 5 fois moins que le maïs et 40 fois moins que le bœuf).
  • Avec une formation adéquate et le renforcement des capacités, la production décentralisée, la transformation et la distribution de la spiruline peut être organisé comme une petite entreprise pour les femmes.
  • Conservation et distribution faciles.

La Chine, qui fournit 50 % des 5 000 tonnes de spiruline sèche produites dans le monde en 2013, l’a déclarée aliment d’intérêt national et, ce malgré l’absence d’étude clinique officielle. Et les victoires obtenues par les ONG dans la lutte contre la malnutrition des enfants des pays pauvres, ont convaincu l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) de recommander sa production et son utilisation.

Pour le Pr Hamid Aït Abderram, directeur adjoint du SCK-CEN de Mol en Belgique, il est apparu que favoriser la culture de la spiruline en Afrique représente un intérêt universel. Membre de l’association « Entrepreneurs pour entrepreneurs », son centre participe au projet « Inspiration ». Il s’agit d’équiper une cinquantaine de familles du Congo avec des petites unités de production de spiruline. Les chercheurs du centre accompagneront pendant trois ans les producteurs et suivront l’impact sur la santé des consommateurs. A la fin, les installations reviendront entièrement aux mains des populations locales.

L’harmonie de l’univers

Cette belle histoire ne devrait pas nous étonner. Après tout l’univers n’obéit-elle pas à une harmonie étonnante qui nous réserve plein de surprises ? Car loin du pessimisme et de la pensée pragmatique qui font tant de ravages, il ne s’agissait pas de devoir choisir cruellement entre d’un coté « nourrir les gens sur Terre », et de l’autre « aller dans l’espace ».

Car développer les cultures de spiruline, c’est donner les moyens aux populations africaines de faire reculer la sous-alimentation qui frappe des millions d’enfants. Et pour les chercheurs de l’ESA, c’est essentiel pour préparer l’avenir de l’homme dans l’espace.

Cette bonne volonté doit amorcer un changement de cap bien plus vaste que les pays des BRICS tentent d’incarner. Car c’est uniquement en nous libérant de l’occupation financière que nous pourrions dégager les ressources pour investir aussi bien dans l’aventure spatiale que dans le décollage de l’Afrique.

Avec ce que nous venons de voir, le projet Transaqua, c’est-à-dire la remise en eau du lac Tchad que Jacques Cheminade et Solidarité & Progrès défendent depuis des décennies, prend ici toute sa pertinence.

Il faut croire que, vu de l’espace, c’est-à-dire vu d’en haut, les contradictions des paradoxes apparents peuvent se résoudre au plus grand bénéfice de tous. Pour qu’ils apprennent cette leçon, il faut peut-être y envoyer nos dirigeants…