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News / Brèves

Espagne, Italie, Etats-Unis : premiers symptômes d’un krach financier annoncé

8 juillet 2017

par Karel Vereycken

Comme le notait le 27 juin avec un brin d’ironie l’analyste Raphaël Didier :

Pendant que la France glisse dans une torpeur estivale, l’actualité économique continue à bouillonner partout en Europe, sous le regard hagard des uns qui pensent que l’élection d’un nouveau président de la République réglera tous les problèmes, et sous le regard incrédule des autres qui s’imaginent que si le système ne s’est pas encore écrasé jusque-là il résistera bien encore quelques décennies.

En effet, il n’y a pas pire aveugle que celui qui refuse de voir. Dans la zone transatlantique, tous les voyants virent au rouge puisque les conditions d’un krach systémique sont de nouveau réunies.

Comme des alligators attendant tranquillement l’arrivée de quelques touristes dans un lac paisible, une série de bulles financières peuvent éclater n’importe quand : celle du shadow-banking (finance dérégulée de l’ombre), celle des dérivés, celle des obligations, celle du numérique et celle de la dette d’entreprise. La grande différence avec 2008, c’est que la boîte à outils d’alors - baisse des taux, renflouements avec l’argent du contribuable (bail-out) et renflouement interne (bail-in) en « rinçant » les déposants, actionnaires et détenteurs de titres variés - s’avère désespérément vide.

Aux États-Unis, dans un article publié sur leur blog sous le titre « Pourquoi Wall Street devrait être vu comme une menace majeure à la sécurité nationale », les analystes Pam et Russ Martens pointent du doigt le fait que 89 % des produits dérivés financiers aux États-Unis sont détenus par seulement quatre méga-banques ! Entre 2008 et aujourd’hui, les avoirs en dérivés de la banque Citigroup sont passés de 41 300 à 54 800 milliards de dollars. Avec un PIB mondial de 75 600 milliards de dollars actuellement, n’est-il pas effrayant de constater qu’une seule banque américaine, Citigroup, « détient l’équivalent de 72 % du PIB mondial en dérivés ? »

Dette d’entreprise

Dans son édition internationale du 5 mai 2017, le quotidien financier allemand Handelsblatt met en garde contre le danger d’un krach financier global. Il résulterait d’une série de faillites en chaîne dans le secteur de la dette d’entreprise américaine, essentiellement des obligations émises par les sociétés pour se maintenir à flot.

Sous le titre révélateur « Debt-ja vue all over again », l’article résume la situation : « Une remontée massive de la dette d’entreprise, en particulier aux États-Unis, pourrait déclencher une nouvelle crise financière. Ceci devrait inquiéter l’Allemagne » s’alarme l’auteur, responsable des pages Finance du quotidien.

En achetant de la dette souveraine et en chassant de ce secteur les banques et les fonds d’investissement, les banques centrales ont forcé ces établissements à acquérir des quantités sans précédent de dette d’entreprise à faible taux mais à haut risque. Témoin de cette évolution, la situation actuelle de l’assureur Allianz qui, d’après le journal, se retrouve avec, dans son portefeuille, une dette d’entreprise de plus de 220 milliards d’euros, dont la moitié est notée par les agences comme étant de qualité faible ou médiocre.

A cela s’ajoute, comme le note l’Institut international de la finance (IIF), le lobbyiste bancaire mondial le plus puissant, que « seulement 3 % des entreprises américaines ou européennes investissent dans des choses comme des machines, des bâtiments, des systèmes d’information et autres projets à long terme. Les 97 % restants servent différentes formes d’ingénierie financière (…) En d’autres termes, les entreprises s’endettent avant tout pour faire monter la valeur de leurs actions à court terme. Cette tendance prévaut surtout aux États-Unis. Dans ce pays, l’envol de cette dette a fait qu’aujourd’hui une société sur dix ne peut plus honorer sa dette avec les profits qu’elle fait, bien que bénéficiant de taux bas de moins de 0,75 à 1 %. »

Si les taux repartent à la hausse, affirme l’analyste Daniel Schaefer dans Handelsblatt, la bulle explosera à la moindre occasion.

En Europe

Chez nous, seuls les imbéciles refusent de voir que le sauvetage des banques italiennes fait éclater en morceaux toute illusion d’une union bancaire capable de « gérer » en même temps la survie de mastodontes comme Deutsche Bank et la liquidation programmée de ce que Wolfgang Schäuble, parmi d’autres, appellent avec mépris les « banques zombies », c’est-à-dire des institutions bancaires petites et moyennes fortement impactées, non pas par la spéculation, mais par le recul de l’économie réelle.

Ainsi, derrière la Commedia del Arte des banques italiennes, se joue donc un vrai drame, celui des PME/PMI italiennes. La part des créances douteuses et litigieuses (appelées prêts non performants) dans les bilans bancaires atteint désormais 18 % en Italie (360 milliards d’euros), 12 % au Portugal et 34 % en Grèce. Le plus grave est que l’augmentation des prêts non performants en Italie ne résulte pas d’une bulle immobilière comme en Espagne, mais bien de la stagnation économique qui empêche les PME italiennes destinataires de ces prêts de les rembourser rubis sur l’ongle. En réalité, ce problème dépasse largement l’Italie.

Pour sa part, Bridget Gandy, une des analystes de l’agence de notation Fitch, rappelle qu’une banque est en faillite lorsque son Texas Ratio dépasse les 100 %, c’est-à-dire à partir du moment où la valeur de ses créances douteuses dépasse celle du montant qu’obtiendrait un liquidateur judiciaire lorsqu’il vend les biens tangibles et les avoirs de cette banque. C’est le cas de nombreuses banques européennes, y compris certaines banques allemandes. Et, rien qu’en Italie, 114 des 500 banques que compte le pays, ont un ratio supérieur à 100 %, et chez 24 d’entre elles, le ratio dépasse les 200 % !

Le krach arrive

La secousse en cours a démarré en Espagne où début juin, Banco Popular, au bord de la faillite, a été rachetée pour un euro symbolique par la méga banque espagnole Santander, qui devra provisionner 7,9 milliards d’euros pour assainir le bilan de l’établissement. Avec la reprise en main de Popular, Santander renforce sa position sur le marché espagnol, devenant numéro un en Espagne, avec plus de 17 millions de clients et une part de marché de 25 % sur les PME. Toute l’Europe a applaudi car l’opération a été effectuée sans un centime d’argent public. Par contre, la question de savoir si les nouveaux clients de Santander obtiendront des crédits pour leurs projets reste en suspens.

En Italie, c’est au contraire le gouvernement qui a dû sauver in extremis deux banques vénitiennes (Banco Popolare di Vicenza et Veneto Banca). C’est la banque Intesa Sanpaolo qui les rachète chacune pour un euro symbolique. Cependant, pour accompagner les suppressions d’emplois qui seront imposées, l’État italien injectera 5 milliards d’euros auxquels s’ajoutent 12 milliards de garantie publique au cas où les créances toxiques, cantonnées dans une structure de défaisance créée pour l’occasion, s’avèrent invendables… Selon La Repubblica, 3500 à 4000 licenciements sont prévus au sein des deux banques vénitiennes mais aussi un grand nombre de départs en préretraite, y compris au sein d’Intesa Sanpaolo qui, par ailleurs, récupère 2 millions de clients dont 200 000 entreprises. En supprimant ces emplois, ce sont les salariés italiens qui paient les faillites bancaires en nature.

A cela s’est ajouté la faillite annoncée de la Banque Montei dei Paschi (BMPS). Dans l’urgence, la Commission européenne a dû valider la quasi-nationalisation de la BMPS suite à une recapitalisation de 8,1 milliards d’euros. En échange 600 des 2000 agences fermeront et la banque réduira elle-aussi ses effectifs de 20 %.

« Toutes les autres banques doivent commencer à accélérer (la délivrance de) crédits à l’économie et doivent se libérer plus rapidement que par le passé des créances douteuses », a déclaré sur un ton grave le ministre italien des Finances M. Padoan qui reconnaît que l’opération fera exploser un peu plus la dette italienne mais se dit « confiant » que le décret sur le sauvetage des banques vénitiennes soit transformé en loi par le Parlement sans modification significative.

Le panachage bail-in et bail-out

Il faut savoir que les nouvelles règles de l’Union bancaire européenne, en vigueur depuis le 1er janvier 2016 sont les suivantes : le Fonds de résolution ne pourra pas être utilisé avant que 8 % du passif de la banque ait fait l’objet d’un bail-in.

Par ailleurs, l’intervention du Fonds ne pourra être supérieure à 5 % du passif de la banque. En termes clairs, cela signifie simplement que lorsqu’une banque sera en faillite, les premiers à mettre la main à la poche seront les actionnaires et les prêteurs (d’où le nom de bail-in), qui devront couvrir au minimum 8 % des pertes de la banque. Si cela ne suffit pas, il sera possible de faire appel à des fonds nationaux de résolution, abondés par le secteur bancaire dans chaque pays.

Enfin, les ménages et les PME peuvent se croire partiellement protégés puisqu’il a été confirmé que leurs dépôts seront garantis à hauteur de 100 000 euros. Sur le papier, cela semble donc un « partage des risques » équitable. Ce qu’on oublie de dire, c’est qu’en Italie, une grande partie des banques petites et moyennes, a convaincu sa clientèle de convertir leurs pensions en actions et obligations de leur banque ! Basculant dans la fraude, une des banques vénitiennes offrait jusqu’à 10 % de rentabilité sur ses actions. Il n’en demeure que la confiscation de ces titres en Italie reviendrait aujourd’hui de facto à priver des millions d’Italiens de la retraite qu’ils méritent.

Hélas, ce ne sont pas toujours les plus riches qui ont placé leur argent dans des titres de dette de leur banque. Voilà pourquoi l’État italien semble vouloir éviter à tout prix un bail-in, qui ruinerait les petits épargnants et conduirait dans le climat actuel à une explosion sociale !

Pour éviter qu’une fois de plus les profits soient privatisés et les pertes socialisées, les Italiens pourraient mettre en œuvre le mot qu’ils ont inventé : la banca rotta, qui désignait au Moyen-âge le fait de casser la table de comptoir qui servait à un financier à effectuer ses affaires.

Que faire ?

Pour S&P, qui lance une mobilisation citoyenne et une pétition pour la « moralisation de la vie bancaire » (merci de la signer), le moment ne pouvait donc être mieux choisi pour mettre le sujet de la séparation bancaire sur la table, car les signes avant-coureurs s’accumulent d’une nouvelle tempête financière qui, si on ne prend pas les mesures pour s’en prémunir, sera bien plus dévastatrice que celle de 2008.