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Dossiers

La danse des lions et des dragons sur la Nouvelle Route de la soie

31 juillet 2017

Sébastien Périmony
Solidarité&Progrès

S&P—Une étude aux États-Unis suggère une nouvelle approche à l’égard du continent africain, du fait du bilan extrêmement négatif des soixante dernières années d’aide au développement. Même si cette étude ne concerne que l’engagement américain en Afrique, ses conclusions sont tout à fait applicables à la France et à l’Union Européenne.

Ainsi, depuis les années 1940, les USA ont fourni à l’Afrique plus de 215 milliards de dollars d’aide au développement (économique et militaire) avec un résultat plus que paradoxal : la plupart des pays vivent toujours au « cœur des ténèbres ».

Dans certains pays, l’aide au développement apportée par la « communauté internationale » peut atteindre jusqu’à la moitié du produit intérieur brut. Le problème est que cette dépendance à l’assistance internationale n’a fait que faire stagner les économies des dits pays, abaisser l’indice de développement humain (IDH), réduire leur stabilité et augmenter leur corruption !

A l’opposé de ce qui n’est autre qu’un échec de l’aide au développement, la Chine a misé sur le co-développement.

Nous publions ici de larges extraits issus d’une étude publiée en Juin 2017 par le cabinet McKinsey, qui s’est plongé dans la réalité des relations entre les lions et les dragons, c’est à dire entre l’Afrique et la Chine. Cette dernière est en effet devenue, nul ne l’ignore plus désormais, le réel moteur du développement du continent. Nous espérons que ces éléments pourront aider les lecteurs à prendre la mesure du succès de la politique gagnant-gagnant de la Chine vis à vis de l’Afrique... et éventuellement à repenser notre action dans le cadre de ce nouveau paradigme.

Tout ce qui suit, graphiques inclus, est le fruit d’une traduction non officielle d’extraits du document du cabinet McKinsey, dont vous pourrez lire le rapport en langue anglaise via ce lien vers un fichier pdf

Derrière les chiffres :
l’effort de collecte de données à grande échelle de McKinsey sur les investissements des entreprises chinoises en Afrique

(...) En 2016 et 2017, une équipe des bureaux de McKinsey Afrique et Chine s’est rendue dans huit pays pour mener à bien une étude à grande échelle sur les entreprises chinoises en Afrique. Nous avons mené des interviews en face à face et une enquête sur 1073 entreprises chinoises dans huit pays : Angola, Côte d’Ivoire, Éthiopie, Kenya, Nigeria, Afrique du Sud, Tanzanie et Zambie, ce qui représente environ le produit intérieur brut des deux tiers de l’Afrique sub-saharienne et environ 50 % des investissements direct à l’étranger (IDE) de la Chine en Afrique. L’enquête couvre les activités commerciales principales, les sources de financement, les motivations pour investir en Afrique, les défis majeurs et l’avenir des plans d’expansion. Pour compléter cette recherche, nous avons également interviewé cent quatre chefs de gouvernements africains et chefs d’entreprise à travers le continent, sur des sujets allant de la stratégie de la Chine à la manière dont ses investisseurs sont perçus en Afrique. Enfin, nous avons interviewé environ trente autres leaders chinois et experts internationaux.

Les entreprises chinoises que nous avons interrogées représentent la grande diversité des industries, telles que les manufactures, les services, la construction, l’immobilier ou encore le commerce mais aussi les grandes, moyennes et petites entreprises ; 28 % des entreprises de notre échantillon emploient plus de 100 personnes chacune, près de la moitié emploient entre 10 et 100 personnes et 21 % moins de 10.

Pourquoi la relation économique Afrique-Chine
est-elle si mal comprise ?

Jusqu’à présent, la véritable étendue de la relation économique entre l’Afrique et la Chine a été mal comprise parce que les données sur le terrain sont inégales et souvent inexactes. Cette carence en information est présente dans tous les secteurs d’activités, et inclut :

  • les entreprises et les investissements. L’ensemble des données antérieures a eu tendance à se concentrer de manière disproportionnée sur les entreprises dirigées par l’État et sur les accords qui ont donné lieu à une annonce publique. Bien que ces investissements ont tendance à figurer parmi les plus importants, chacun n’est qu’un sous-ensemble de l’immense activité commerciale qui a lieu entre la Chine et l’Afrique.
  • les prêts. Malgré les annonces revenant chaque mois sur de grands prêts bilatéraux, il n’y a pas de base de données fiable sur le vrai niveau de prêts accordés par la Chine aux différents pays africains.
  • les aides. L’absence d’une agende d’aide au développement et la définition propre de l’aide offerte par la Chine – qui diffère des normes établies par l’Organisation de coopération et de développement (OCDE) – rend plus difficile la comparaison avec les aides au développement des autres pays.

La Chine a obtenu un retour concret de ses amitiés en Afrique. Pendant plus de deux décennies, après que le Parti communiste est arrivé au pouvoir en Chine continentale en 1949, la République populaire de Chine n’a pas été reconnue par l’ONU. Au lieu de cela, Taïwan a tenu le siège convoité au Conseil de sécurité de l’ONU. Lorsque les États membres de l’ONU ont voté pour redonner ce siège à la Chine en 1971, 26 des 76 votes pour provenaient de pays africains. Dans les années 1990, environ 90 % des pays africains ont reconnu la République populaire de Chine. Ces relations ont créé un terrain fertile pour la politique chinoise « Sortir de Chine » lancée en 1999, qui a encouragé les entreprises chinoises à investir à l’étranger.

Les liens entre la Chine et l’Afrique ont été renforcés en 2000 par le lancement du FOCAL (le Forum sur la coopération sino-africaine). Au cours des dernières réunions, plus de cinquante chefs d’État africains et dirigeants chinois se sont réunis à Beijing ou dans des capitales africaines pour discuter des moyens d’approfondir le commerce et la coopération.

Plus récemment, en Chine, l’Initiative pour une Ceinture, une Route (précédemment connue sous le nom de « Une Ceinture, une Route »), lancée en 2013 et présentée sur la scène internationale lors d’un sommet à Beijing en mai 2017, a créé de nouvelles politiques et de nouveaux fonds pour approfondir l’investissement, l’infrastructure et les liens commerciaux à travers l’Eurasie et l’Afrique.

Enfin, l’augmentation de l’implication de la Chine sur la scène internationale a été renforcée par la création de trois nouvelles institutions financières de développement mondial : la Banque asiatique d’investissement dans l’infrastructure (AIIB) de 100 milliards de dollars, la Nouvelle banque de développement (NBD) (anciennement connue sous le nom de Banque des BRICS) et ses 100 autres milliards de dollars, et le Fonds pour la Route de la soie de 40 milliards de dollars.

Le dragon s’est posé :
le plus grand partenaire économique de l’Afrique

(Contribution des entreprises chinoises à l’économie africaine : 89 % des employés sont africains ; 64 % des entreprises font de la formation professionnelle ; 44 % des cadres sont africains.

Depuis le tournant du 21e siècle, la Chine a été catapultée de relativement petit investisseur sur le continent à partenaire économique le plus important d’Afrique. Depuis le début du millénaire, le commerce entre l’Afrique et la Chine a augmenté d’environ 20 % chaque année.

Gros bénéfices, mais questions réelles :
mesurer l’impact des investissements chinois en Afrique

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Comment l’Afrique et la Chine s’engagent-elles et comment le partenariat va-t-il évoluer ? De haut en bas et de gauche à droite : 1e partenaire commercial ; 1e en terme de financement des infrastructures ; 1e en terme de croissance des investissements directs à l’étranger ; 3e donateur ; plus de 10 000 entreprises chinoises en Afrique ; plus de 30 % des entreprises dans l’industrie ; 90 % des entreprises sont privées ; 89 % des employés sont africains ; un potentiel de 440 milliards de dollars d’échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique d’ici 2025.

Comment l’Afrique et la Chine s’engagent-elles et comment le partenariat va-t-il évoluer ? De haut en bas et de gauche à droite : 1e partenaire commercial ; 1e en terme de financement des infrastructures ; 1e en terme de croissance des investissements directs à l’étranger ; 3e donateur ; plus de 10 000 entreprises chinoises en Afrique ; plus de 30 % des entreprises dans l’industrie ; 90 % des entreprises sont privées ; 89 % des employés sont africains ; un potentiel de 440 milliards de dollars d’échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique d’ici 2025.

Notre recherche porte sur trois principaux avantages économiques permis par les activités commerciales et les investissements chinois en Afrique : la création d’emplois et le développement de compétences, le transfert de nouvelles technologies et de connaissance, le financement et le développement de l’infrastructure.

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74 % des entreprises chinoises interviewées sont optimistes quant à leur futur en Afrique.

Au sein des plus de 1000 entreprises auxquelles nous nous sommes adressés, 89 % des employés étaient africains, ce qui représente plus de 300 000 emplois pour les travailleurs autochtones.

Si on compte les 10 000 entreprises chinoises présentes en Afrique, ces chiffres suggèrent que les entreprises chinoises emploient déjà plusieurs millions d’Africains.

Près des deux tiers des employeurs chinois offrent une formation professionnelle. Dans les entreprises de construction et de fabrication où la main-d’œuvre qualifiée est une nécessité, la moitié des entreprises offre une formation d’apprentissage.

La moitié des entreprises chinoises a introduit un nouveau produit ou un nouveau service sur le marché local, et un tiers a apporté une nouvelle technologie.

Dans certains cas, les entreprises chinoises ont abaissé les prix de produits et services existants de 40 %, grâce à une amélioration de la technologie ou grâce à des économies d’échelle.

Les officiels de gouvernement africains qui surveillent le développement de l’infrastructure de leurs pays ont reconnu que le rapport coût/efficacité et la livraison rapide par les entreprises chinoises était la principale valeur ajoutée.

440 milliards de dollars :
débloquer le plein potentiel du partenariat sino-africain

Une chose est claire pour ceux qui suivent de près la relation Afrique-Chine : elle va croître.

Parmi les plus de 100 hauts responsables d’entreprises et de gouvernements africains, presque tous ont déclaré que les opportunités de la relation Afrique-Chine était plus grande que celle présentée par tous les autres partenaires étrangers – y compris le Brésil, l’Union européenne, l’Inde, le Royaume-Uni et les États-Unis.

Mais à quelle vitesse la relation Afrique-Chine va-t-elle croître dans la décennie à venir ?

Nous voyons deux scénarios possibles. Dans le premier cas, les revenus des entreprises chinoises en Afrique se développent de manière constante pour atteindre environ 250 milliards de dollars en 2025, contre 180 milliards de dollars aujourd’hui. Ce scénario implique que les affaires continuent sur un même rythme (« business as usual »).

Mais nous croyons que les choses peuvent aller bien au-delà. Ainsi, dans un second scénario, les entreprises chinoises en Afrique pourraient accélérer considérablement leur croissance.

En se développant de manière dynamique dans les secteurs existants et dans de nouveaux secteurs, ces entreprises pourraient atteindre des revenus de 440 milliards de dollars en 2025.

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Les entreprises chinoises peuvent se développer dans 5 nouveaux secteurs : agriculture, banque et assurance, immobilier, technologie de l’information et de la télécommunication, transport et logistique

Il y a dix ans, on aurait excusé celui qui aurait décrit les relations entre l’Afrique et la Chine de phénomène à la marge. Le commerce et les investissements de la Chine en Afrique étaient bien en retard par rapport à ceux ayant cours avec les partenaires occidentaux traditionnels.

Le portefeuille de prêts des pays africains reposaient entre les mains de la Banque mondiale et du Club de Paris.

Et les Chinois qui migraient vers l’Afrique parlant peu l’anglais, le français, le portugais ou le swahili, semblaient bien mal outillés pour avoir un réel impact sur les économies locales.

Mais alors que des milliers de commerçants chinois ouvraient des "China shops", des petits magasins de détail à travers le continent, trente-cinq chefs d’État africains se sont présentés à Beijing en 2006 pour le Forum pour la coopération sino-africaine (FOCAL).

Bien que la FOCAL avait été fondé six ans auparavant, c’était la première fois que la majorité des chefs d’État africains y participaient.

Les entreprises chinoises ont alors investi dans la plus grande usine d’acier en Afrique de l’Ouest, la plus grande usine de tuile en céramique en Afrique de l’Est, et dans la plus grande banque de toute l’Afrique.

Les géants de la télécommunication chinoise Huawei et ZTE [Zhongxing Telecommunication Equipment] ont construit la plupart des infrastructures de télécommunication en Afrique.

Des entrepreneurs chinois ont bâti le projet de développement du gaz en Tanzanie pour 1,2 milliards de dollars en 2015 ; le chemin de fer Éthiopie-Djibouti de 750 kilomètres en 2016 pour 3,4 milliards de dollars ; et le chemin de fer de 750 kilomètres au Kenya [Nairobi-Mombasa] en 2017 pour 3,8 milliards de dollars.

Les sources profondes de la relation Afrique-Chine

La croissance des entreprises et des investissements chinois en Afrique est semblable à celle d’un bambou : partie d’origines modestes, elle a poussé à une vitesse record. Comme avec le bambou, cette croissance provient de racines très anciennes.

Bien que l’explorateur naval chinois Zheng He ait navigué vers la côte Est de l’Afrique au 15e siècle, les liens modernes entre la Chine et l’Afrique remontent aux premières années d’indépendance africaine dans les années 1950 et 1960, lorsque des leaders tels que le président Julius Nyerere, de Tanzanie, se sont tournés vers la Chine pour établir « la solidarité des pays du tiers monde ».

La concrétisation de cette coopération d’alors a été la construction chinoise de 1968 à 1976 du chemin de fer TanZam, qui reliait la Zambie enclavée avec le port de Dar es-Salaam en Tanzanie.

La Grande-Bretagne, le Japon, l’Allemagne de l’Ouest, les États-Unis, ainsi que les Nations Unies (ONU) et la Banque mondiale, avaient tous refusé de financer le projet, estimant qu’il était financièrement non viable. Seule la Chine – à l’époque pourtant plus pauvre que la Tanzanie et la Zambie – a accepté de le financer, pour un montant de 3 milliards de dollars (en comptabilité actuelle). Mao a déclaré à Nyerere : « Pour vous aider à construire le chemin de fer, nous sommes
disposés à renoncer à développer les nôtres.
 »

Le commerce entre l’Afrique et la Chine
fait reculer la part des autres partenaires commerciaux d’Afrique.

La Chine a largement dépassé les partenaires commerciaux africains de longue date tels que la France, l’Allemagne, l’Inde et les États-Unis (voir graphique). En 2015, le commerce total des marchandises entre la Chine et l’Afrique s’élevait à 188 milliards de dollars, plus que le triple de celui avec l’Inde, le second partenaire commercial de l’Afrique.

La Chine a représenté 20 % ou plus des exportations de 16 pays africains en 2014 ; la Chine constitue par exemple la destination de la moitié des exportations angolaises. Et tandis que l’Afrique importe en grande partie des produits manufacturés en provenance de Chine, ses exportations vers la Chine comprennent des ressources telles que le pétrole et des minéraux, ainsi que des matières premières semi-finies.

La Chine est le plus important financier bilatéral pour l’infrastructure en Afrique

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La Chine est le plus grand partenaire commercial de l’Afrique ; les principaux partenaires commerciaux de l’Afrique, en milliards de dollars, 2015.

En 2015, les engagements chinois en faveur de l’infrastructure en Afrique s’élevaient à 21 milliards de dollars – plus que le total cumulé du Consortium pour les infrastructures en Afrique, dont les membres sont : la Banque africaine de développement, la Commission européenne (CE), Banque européenne d’investissement (BEI), la Société financière internationale, la Banque mondiale (BM), et les pays du Groupe des huit (G8).

Les engagements chinois en matière d’infrastructure ont augmenté de 16 % en moyenne entre 2012 et 2015 et ont permis la réalisation des projets africains les plus ambitieux.

Par exemple, la banque chinoise EXIM a financé à plus de 90 % le chemin de fer Mombasa-Nairobi d’un coût de 3,8 milliards de dollars au Kenya, tandis que les institutions chinoises ont financé la plus grande partie de la centrale hydroélectrique de Karuma (Ouganda), dont le coût est de 1,7 milliard de dollars.

Les entrepreneurs chinois représentent aujourd’hui près de la moitié du marché international de l’ingénierie, de l’approvisionnement et de la gestion de projet de construction (IAGC) en Afrique.

Six des dix plus grands entrepreneurs internationaux IAGC opérant en Afrique sont chinois :

  • China Communications Construction,
  • China Railway Group,
  • Groupe Sinohydro,
  • China State Construction Engineering Corporation,
  • China Railway Construction Corporation et
  • Citic Construction Company.

Un récent sondage d’opinion publique à grande échelle a révélé que le développement de l’infrastructure par les Chinois est l’aspect le plus apprécié des citoyens africains.