Editorials of / Editoriaux de Gilles Gervais
Back to previous selection / Retour à la sélection précédente

Le groupe Maple et la tragédie grecque

Printable version / Version imprimable

Le groupe Maple, l’alternative canadienne à la prise de contrôle des bourses de Toronto et de Montréal par le London Stock Exchange (LSE), suscite des réactions étonnantes qui vont du sophisme aux passions exacerbées en passant par les opinions erronées.

À Montréal on assiste à un élan oratoire nationaliste de la part d’un ancien premier ministre québécois. À Toronto, ce sont des discours qui tentent de soulever la ferveur d’un certain nationalisme économique comme au temps des plaidoyers de Mel Watkins et Walter Gordon du Committee for an Independent Canada. À travers le pays, des « spécialistes » de tout acabit affirment que le rejet de l’offre d’achat par Maple laisserait tous nos citoyens à la merci du bon vouloir des intérêts financiers de Londres lorsque se produira « la prochaine grande crise financière ».

Il est grand temps que cessent ces manigances !

Les deux consortiums qui sont en compétition pour le contrôle des bourses canadiennes ne sont, en dernière analyse, que les deux faces d’une même médaille : les composantes bancaires du Maple Group Acquisitions Corp. étant, en majorité, des appendices* de « la city » alors que les diverses autres institutions qui forment le MGAC gravitent dans des orbites plus ou moins rapprochées du noyau Londres-Wall Street. Les psychiatres de l’institut Tavistock appellent ce genre de faux débat, un choix « Reesien ».

JPEG



Le Brig. Gén. Dr. John Rawling Rees [1] fut le fondateur et directeur du célèbre institut Tavistock durant les années de guerre. Rees était en charge du département de guerre psychologique de l’armée britannique et le psychiatre de Rudolf Hess pendant plusieurs années. Les techniques de propagande développées par les psychiatres de l’armée britanniques durant la deuxième guerre mondiale furent davantage raffinées dans la période d’après guerre par Rees et son équipe de l’institut Tavistock pour servir aux besoins de l’establishment financier anglo-américain.



Une opération delphique

En fait, les manipulations psychologiques par l’oligarchie financière ne datent pas d’hier :

Au VIIe et VIe siècles avant l’ère chrétienne, c’est dans le sanctuaire du culte d’Apollon à Delphes que les cités grecques, les particuliers et même les représentants de royaumes extérieurs à la Grèce y venaient déposer leurs titres les plus précieux et leur argent. L’oracle de Delphes était ainsi en relation avec toutes les régions de l’antiquité qui venaient consulter les grands prêtres du culte d’Apollon.

Ce temple se transformera rapidement en établissement financier avec des chargeurs et prêteurs qui veilleront sur la trésorerie et tiendront essentiellement le rôle de nos banquiers aujourd’hui.

La pythie installée sur un trépied dans l’adyton du temple interprète le jugement du dieu Apollon à travers un discours incohérent que seuls deux grands prêtres du temple peuvent décoder. C’est ainsi que les décisions politiques, militaires et financières étaient prises.

Aujourd’hui l’équivalent serait nos agences de notations qui sont à la solde des places boursières et autres intérêts financiers. Ces agences nous prodiguent des prophéties « objectives » sur les offres de prise de contrôle et autres placements « judicieux » comme lors de la soi-disant crise des « subprimes », une des instances où leur supercherie a été fortement médiatisée.

JPEG

Le temple d’Apollon à Delphes

Même si la plupart de nos citoyens ne connaissent pas ces détails savoureux de l’histoire hellénique, ils auraient pu, instinctivement, se méfier de ces projets de fusion de bourses si ardemment défendus par les intérêts de « la City », de Bay Street et de leurs hommes de mains canadiens et québécois.

On peut affirmer que la campagne médiatique en cours ne manque certainement pas de « chutzpah » en jouant sur les cordes sensibles du nationalisme, pour consolider des opérations spéculatives dont le seul but est de gagner du temps avant l’effondrement de tout le secteur financier international :

1) La bourse de Toronto est un joueur important dans la frénésie spéculative actuelle sur les matières premières, avec le Chicago Mercantile Exchange (CME) où s’effectue la spéculation sur les denrées alimentaires. [2]

2) Quant à la bourse de Montréal, elle se spécialise dans les produits dérivés, ces mêmes instruments financiers exotiques qui, au niveau planétaire, sont à l’origine de la crise financière mondiale !

Il est doublement ironique que ces deux offres d’achat arrivent au moment même où le système financier international est sur le point d’exploser. La finance folle du monde transatlantique est devenue le point le plus vulnérable de tout le système financier international suite aux faillites non-déclarées de nombreuses banques appartenant au groupe bancaire dominant Inter-Alpha [3] . Leurs activités hautement spéculatives sur le marché de l’euro et l’ordre de grandeur des sommes en péril impliquées dans les contrats sur les produits dérivés ont causé la perte de l’hydre Inter-Alpha.

Ce sont en effet les tentatives désespérées pour sauvegarder les valeurs des contrats de produits dérivés accumulés dans le système, des sommes astronomiques devenus incalculables car non régulées pour la plupart, qui sont la cause des mesures d’austérité meurtrières que l’on tente d’ imposer aux populations grecques, portugaises, irlandaises, … etc.

La finance de l’ombre

Le journal Nouvelle Solidarité rapportait cet hiver un article en date du 3 février du correspondant du quotidien allemand Handelsblatt, Gabor Steingart :

« D’abord Steingart constate que si les hommes politiques semblent infectés par le « syndrome du sauvetage » et se démènent sans compter en faveur du sauvetage des banques, ils portent bien peu d’attention à ces machines à faire du fric que sont les hedge funds [fonds de performance].

« Et cela, en dépit du fait que le « volume total de tout les [produits financiers dérivés], "seulement" de 18000 milliards de dollars en 1995, est passé à 400000 milliards de dollars actuellement (x 22), alors que le PIB mondial a seulement doublé sur la même période. »

« A l’heure actuelle, les dérivés sur le pétrole représentent dix fois le volume du pétrole physique sur le marché », affirme Steingart, qui cite le patron de l’autorité des marchés financiers britannique Lord Turner expliquant que « la scène financière s’est déconnectée de la réalité (…) et dispose d’une telle puissance qu’elle peut détruire des industries et des pays entiers ».

« Dans l’ombre, écrit Steingart, existe désormais un endroit où des milliers de milliards de dollars s’écoulent comme la pluie dans le Rhin (…) Des nouveaux risques systémiques se font jour alors que, d’après les autorités américaines, quelque 16000 milliards de dollars circulent dans le "système bancaire de l’ombre" ». Et il ajoute : « En Europe, jusqu’ici, les chiffres officiels ne sont pas encore disponibles ».

« Personne dans le secteur financier ignore ces risques », poursuit Steingart. Pourtant, « personne s’empêche d’en profiter. Car les banques régulées ont des liens avec ceux qui ne le sont pas, via des chemins opaques. Si le monde est condamné à sombrer, il existe toujours des gens qui chercheront à en tirer leur profit. »

La tragédie grecque et le principe de Prométhée

Plutôt que de tenter de tirer son épingle du jeu en croyant naïvement être capable de survivre à un effondrement généralisé du système financier, vaudrait mieux comprendre comment sortir de cette crise par le haut et avec des politiques qui réaffirment le bien commun en s’opposant efficacement aux politiques d’austérité fasciste que « la city » et Wall Street tentent d’imposer aux Européens et maintenant aux Nord-américains.

On constate que le monétarisme, qui était hégémonique au temps du culte d’Apollon à Delphes, domine à nouveau aujourd’hui au sein de l’empire financier britannique et ses temples modernes érigés à « la city » et à Wall Street.

JPEG

Prométhée enchaîné

Les tragédies grecques, et particulièrement le « Prométhée Enchaîné » d’Eschyle, sont riches en enseignements universels et ce sont des textes qui nous éclairent sur la tragédie qui se déroule aujourd’hui même en Grèce et dans tout autre pays ciblé par les institutions de l’oligarchie financière.

Dans le « Prométhée Enchaîné » d’Eschyle, le Titan Prométhée se révolte contre le destin tragique des hommes condamnés à l’ ignorance par les dieux. Il endure de grandes souffrances pour la cause de la justice envers l’humanité.

Sur l’ordre de Zeus, Prométhée est enchaîné au sommet du Caucase par la Puissance et la Force. Un aigle vient lui ronger le foie qui repousse sans cesse. Quel crime avait-il commis pour endurer ce châtiment ?

Il déroba le feu aux dieux - « il déroba une étincelle au char du soleil » - et l’apporta aux Mortels, caché dans un roseau vide.

« ... Il voyait sans comprendre, le monde
Mais je vins montrer des astres le lever
Et le coucher, qu’il est malaisé d’observer,
Et pour lui, je trouvai le Nombre, la plus pure
Invention ; je lui fis don de l’écriture,
Des neuf Muses la mère et mémoire de tout.
J’ai, le premier, jeté la bride sur le cou
De l’animal sauvage, et c’est ainsi que l’Homme
Allégea ses travaux grâce aux bêtes de somme
C’est moi qui lui donnai des riches l’ornement,
Les chevaux entraînant les chars docilement
Je mis aussi la barque errante à son service
Char aux ailes de lin qui sur les vagues glisse ... »

Mais avant tout, Prométhée enseigne à l’homme à se libérer de la tyrannie de la perception sensorielle et à cultiver le fruit de la pensée créatrice unique à son espèce.

Sans les interventions récurrentes d’individus prométhéens dans l’histoire, le progrès de l’homme aurait été minime. Et sans le développement de prométhéens parmi les hommes, l’oligarchie financière et leurs sbires politiques auraient provoqué un nombre incalculable de génocides.

Aujourd’hui la population grecque, fortifiée moralement par ce riche héritage de l’âge d’or hellénique, endure elle aussi de grandes souffrances, mais cette population ne se contente plus simplement de survivre. Cette population comprend que les yeux de la planète sont fixés sur elle, et qu’elle ne peut se limiter à quémander des concessions, ou seulement espérer un meilleur arrangement pour leur famille. Les Grecs aspirent à un changement plus fondamental.

Nous avons affaire à une « grève de masse » [4] qui s’étend de la place Syntagma à tout le continent européen et qui a déjà rejoint l’Amérique [5] .

« La capacité à assimiler les idées profondes et universelles sur l’homme et la nature sont grandement accrues » [6] lors de telles périodes de grèves de masse. La jeunesse grecque est désormais déterminée à se battre pour un futur meilleur et rien de moins. Elle réalise que le système ne fonctionne plus et elle recherche l’alternative qui ne peut-être quelque chose de local, mais bien une idée qui soit applicable à l’ensemble de la planète, un principe universel.

Nous n’avons pas encore malheureusement à ce point-ci une assez grande proportion de la population au Canada et aux Etats-Unis qui se bat comme les Grecs pour un principe universel.

Par contre, il est indéniable que le vent du changement souffle de plus en plus fort et transporte les idées de plus en plus vite.

Aux Etats-Unis le peuple américain se sent trahi par ses représentants, et se mobilise de plus en plus dans ce qui se révèle être un véritable ferment de grève de masse, a expliqué Lyndon LaRouche. C’est cet élan qui va permettre l’adoption du Glass-Steagall et qui va pousser certains membres du Congrès à répondre présent et agir pour Glass-Steagall, a-t-il ajouté.

La Révolution Glass-Steagall

GIF

</

Le projet de loi H.R. 1489 introduit récemment au Congrès américain pour rétablir le principe Glass-Steagall [7] de Franklin Delano Roosevelt représente beaucoup plus qu’une simple législation : c’est une révolution de nature prométhéenne pour mettre fin à une oligarchie financière vieille de plus de 2500 ans qui contrôle la destinée humaine. C’est le principe universel que recherche avidement la population en Grèce.

J’enjoins donc tous les citoyens à se mobiliser avec nous durant l’été afin que notre gouvernement passe une loi de type Glass-Steagall au Canada et cela dans les plus brefs délais. Mieux vaut que nous mettions nous même le système financier prédateur en faillite et que nous dictions les conditions de la reprise économique plutôt que de laisser les financiers nous entraîner avec eux dans leur chute.

L’année 2011 risque fort d’être une année charnière pour l’histoire. Le Canada, de concert avec d’autres pays, peut contribuer de façon significative à l’établissement d’un nouvel ordre économique mondial plus juste qui permettra à tous les hommes de se réapproprier leurs droits inaliénables et de garantir un dénouement heureux pour les générations futures libérées enfin des diktats de l’oligarchie financière.

Gilles Gervais


Notes :

* Pour l’implication des banques canadiennes dans le lessivage de l’argent du commerce de la drogue dans les paradis fiscaux britanniques, voir le livre Dope, Inc. - Britain’s Opium War Against the World, par les éditeurs du Executive Intelligence Review, 4e édition, 2010. pages 146@158.