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Poutine prône la voie non-linéaire dans les relations internationales

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S&P—Le 3 octobre, le président de la Fédération russe Vladimir Poutine a prononcé le discours de clôture de la 16e rencontre à Sotchi en Russie du Club international de discussion Valdaï. Parmi les autres figures politiques en exercice présentes, on comptait le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, le roi Abdallah II de Jordanie, le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, ainsi que le président des Philippines, Rodrigo Duterte.

Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie

La discussion de cette année avait pour thème « L’Est et le rôle de l’Asie en tant que région du monde la plus grande et la plus peuplée ». La transcription intégrale de ce discours ainsi que la période de questions/réponses se trouve (en anglais) sur le site de la présidence russe.

La nature des relations russes avec l’Asie est dictée non seulement par les réalités d’aujourd’hui, mais aussi par l’histoire, a rappelé Poutine. L’Inde et la Chine, l’Egypte et l’Iran, la Turquie et le Japon, les pays d’Asie centrale et ceux d’Asie du Sud-est, sont tous héritiers de grandes civilisations très anciennes qui ont donné à l’humanité des connaissances et des technologies uniques, ainsi que des découvertes dans la médecine, les mathématiques, la culture et les arts.

Aujourd’hui, l’Asie tout entière, depuis le Maghreb et le Moyen-Orient jusqu’à l’Asie de l’Est et du Sud-est, retrouve sa place naturelle dans les affaires internationales, une place à la hauteur de son grand héritage ainsi que de son potentiel, qui est vaste et en croissance potentielle.

La position des Etats asiatiques se renforce dans tous les domaines, notamment dans l’économique. Cette région représente, en effet, déjà plus d’un tiers du produit mondial brut (PMB). Le niveau de vie s’y améliore à un rythme plus élevé que la moyenne mondiale et les technologies les plus avancées y ont été introduites.

Bien que pouvant afficher des exemples impressionnants de progrès, les nations asiatiques ont su préserver leurs caractéristiques propres et leurs traditions. Elles n’ont pas oublié leurs racines et prouvent, dans leur progression, que les principes de la souveraineté nationale ne sont pas en contradiction avec l’ouverture et la mondialisation, que le développement durable peut être basé sur l’indépendance et l’autosuffisance plutôt que sur une renonciation obligatoire, et que le potentiel de croissance économique et humaine nationale exige une identité politique.

(…) Les Etats asiatiques se battent pour jouer un rôle plus important dans la politique mondiale. Rien de plus naturel. Ils ont leur propre vision des problèmes internationaux, chérissent leur indépendance et ont l’espoir que leur influence croissante et objective sera reconnue. Nous croyons que cela est non seulement juste, mais correspond aux réalités d’hier et d’aujourd’hui.

(...) Par ailleurs, il fut un temps où l’éveil de l’Asie, comme on dit, et la renaissance nationale et culturelle des Etats jouaient un rôle très important dans la démocratisation des relations internationales. Aujourd’hui, il est évident que les problèmes mondiaux ne peuvent pas être résolus sans l’Asie.

(...) Le monde est devenu multipolaire et donc plus compliqué, notamment du fait des pays asiatiques. Mais, comme je l’ai dit, la multipolarité en tant que telle n’est pas le remède à tous les maux. Elle n’implique pas non plus que les problèmes urgents disparaîtront d’eux-mêmes.

Les auteurs du rapport annuel du Club de Valdaï soulignent que nous sommes entrés dans une ère où il n’y a plus du tout d’ordre mondial. Ceci vient d’être dit à l’instant. Oui, un tel scénario est possible. Mais, comme nous en sommes tous conscients, il est porteur de nombreux dangers. J’ose espérer que quelle que soit la complexité des relations entre les nations, quels que soient les dangers des lacunes judiciaires, dans les domaines notamment tels que les armements nucléaires et les missiles, l’ordre mondial, fondé sur le rôle clé du droit international, survivra, bien que sous une autre forme. Nous allons tous veiller à le protéger…

Le système mondial a de multiples facettes et complications, et il est également connecté comme jamais auparavant. Chacun y a, objectivement, ses propres intérêts qui ne coïncident pas toujours avec ceux des autres ; c’est une évidence. Mais il y a tout de même un sentiment de responsabilité commune. En dernière analyse, j’espère, et même, je n’ai aucun doute qu’il existe un bon sens commun, une volonté d’assurer la sécurité.

C’est pourquoi on ne peut se passer d’un ordre mondial systémique. Mais cet ordre doit aussi présenter de la flexibilité et de la non-linéarité. Cette dernière ne constitue pas un rejet du système, [mais] seulement la possibilité d’organiser un processus complexe, fondé sur des réalités, qui présuppose aussi une aptitude à considérer des systèmes culturels et des valeurs variés et un besoin d’agir ensemble, éliminant tous les stéréotypes et les clichés géopolitiques. C’est la seule façon de résoudre efficacement les défis, que ce soit au niveau national, régional ou global.

A titre d’exemple, Poutine évoque alors sa décision d’intervenir militairement en Syrie en 2015 et rappela combien d’experts avaient été hostiles à cette décision. C’était, a-t-il dit, un ’vrai nid de frelons’. Mais, sa décision s’est avérée correcte :

Nous avons vaincu une internationale terroriste qui était en passe de s’emparer du territoire syrien et nous avons empêché le retour, voire l’infiltration de centaines, et peut-être plus tard, de milliers d’égorgeurs dans notre pays et chez nos voisins, avec qui nous avons un régime libre de visa car nos frontières sont transparentes.

La majeure partie de la Syrie a été libérée des terroristes en l’espace de quelques années et le niveau de violence, réduit drastiquement. En conjonction avec nos partenaires du ‘format Astana’ (Russie, Iran, Turquie ) et avec le soutien de l’ONU, nous avons réussi à lancer un processus politique intra-syrien et à établir une étroite collaboration avec l’Iran, la Turquie, Israël, l’Arabie saoudite, la Jordanie et d’autres pays du Moyen-Orient, ainsi qu’avec les Etats-Unis.

Mes chers collègues, vous serez d’accord qu’il était difficile d’imaginer, il y a juste quelques années, un alignement diplomatique aussi complexe, avec la participation de tant d’Etats différents, ayant tant d’émotions si différentes entre les uns et les autres. Mais maintenant, c’est un fait accompli, et nous avons réussi à le faire.

Nous pensons que l’accord syrien peut devenir un modèle de résolution de crises régionales dans lesquelles l’emploi des mécanismes diplomatiques sera prédominant. L’utilisation de la force doit rester un cas exceptionnel. En Syrie, effectivement, nous avons dû faire face à une tentative de créer un quasi-Etat terroriste. Je dis cela sans la moindre exagération : une véritable armée de terroristes.

Il arrive que pour bon nombre de problèmes nouveaux et chroniques, on ait l’impression que les crises sont si enchevêtrées que le fait même de les aborder paraît difficile. Mais, je le répète, le moment est venu d’aller chercher des solutions et d’entreprendre des actions ‘hors de la boîte’ [hors des sentiers battus]. En Syrie, la Russie et ses partenaires (car il nous aurait été impossible d’agir seuls) ont réussi à faire beaucoup, tout en adhérant au droit international et en en respectant les normes, tout en respectant la souveraineté et en pensant avant tout à la vie, à la sécurité et aux intérêts des peuples.

Je suis convaincu que ces approches peuvent être utilisés pour résoudre d’autres problèmes existants dans le monde, notamment en Asie, tels ceux de la Péninsule coréenne, qui cherchent depuis longtemps une solution.

A cet égard, dès qu’on a vu que les Etats-Unis avaient décidé de nouer un dialogue direct avec la République populaire démocratique de Corée (RPDC), sans conditions préalables ni autres conventions, et en acceptant d’abandonner la rhétorique habituelle, souvent désobligeante, voire même insultante, l’espoir d’un accord pacifique est immédiatement revenu… Nous devons reconnaître au président Trump, le courage et la capacité d’agir hors des sentiers battus. En effet, durant des décennies, les présidents américains ont ignoré la RPDC et l’ont traitée comme un paria. M. Trump a été capable de faire un pas historique, franchissant la ligne de « démarcation », de l’incompréhension et de l’aliénation, pour rencontrer Kim Jong Un et démarrer le processus de négociation.

Laissez-moi le répéter : les conflits les plus compliqués, tels que l’Israélo-palestinien ou l’Afghan, ou encore la situation entourant l’accord nucléaire iranien, peuvent et doivent être résolus sur la base des principes de coopération mutuelle, de respect, de reconnaissance des intérêts de toutes les parties, et du rejet de toutes sortes de clignotants ou de philosophie des blocs.

Dans ce contexte, laissez-moi vous rappeler que cette logique fut bien celle de la Russie en ce mois de juillet, lorsqu’elle avança l’idée de fournir une sécurité collective à la région du golfe Persique. Je crois que cette idée est toujours importante au vu de la situation très tendue et imprévisible qui est celle-là.

Nous suggérons de repousser les préjugés accumulés et les exigences mutuelles et de créer une organisation de coopération et de sécurité pour la région, presque à partir de zéro. Au-delà des pays occidentaux, de la Russie, de la Chine, des Etats-Unis et de l’Union Européenne, l’Inde et d’autres pays intéressés pourraient la rejoindre, en tant qu’observateurs.

Bien entendu, la coopération économique qui ouvre de réelles perspectives pour un développement soutenable de tous à long terme, est la base de relations politiques d’égal à égal, orientées vers l’avenir, y compris entre les pays asiatiques.

Laissez-moi utiliser les liaisons de transport pour vous donner un exemple. Il est impossible de développer les échanges et la coopération industrielle ou d’établir des échanges mutuels avec tout autre région sans avoir une infrastructure routière, maritime ou ferroviaire moderne. Nous devons réfléchir ensemble à la façon d’accélérer la conception d’un réseau de transport eurasiatique, encadré par un système de coordonnées fait de routes d’échanges longitudinales et latitudinales.

Par rapport au monde en général, puisque toutes les nations sont évidemment différentes, l’uniformité et l’universalisation sont impossibles par défaut. Cela requiert un système où les différentes valeurs, idées ou traditions puissent coexister et s’enrichir mutuellement, tout en gardant et en mettant en valeur leurs singularités et leurs différences.

Au XIXe siècle, on parlait d’un ‘concert de puissances’. Le temps est venu de parler d’un concert mondial de modèles de développement, d’intérêts, de cultures et de traditions, où le son de chaque instrument est crucial, indissociable et important, pour la musique soit jouée harmonieusement plutôt qu’avec des notes discordantes (devenant alors une vraie cacophonie). Il est crucial de considérer les opinions et les intérêts de chaque participant à la vie internationale. Laissez-moi le réitérer : on ne peut construire de relations de respect mutuel, pragmatiques et, par conséquent, solides, qu’entre nations souveraines et indépendantes.