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Chine : « Washington a perdu la raison »

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Christine Bierre

S&P—L’évolution des politiques américaines, allant vers l’élection présidentielle de novembre, est proprement effrayante. Trump avait été élu il y a quatre ans, en promettant qu’il ramènerait tous les boys à la maison depuis les multiples théâtres de guerre où ils sont déployés et qu’il mettrait fin à la politique de guerres infinies de son pays. Force est de constater qu’aujourd’hui les néo-conservateurs de son administration l’ont conduit sur un chemin qui peut nous conduire vers une nouvelle guerre mondiale.

Si au départ, il y a eu des rencontres positives importantes entre Xi Jinping et Donald Trump, dès mars 2018, les relations se sont nettement gâchées avec le déclenchement d’une guerre commerciale particulièrement violente. Ayant pour but de rééquilibrer les échanges commerciaux entre les deux géants et d’éponger le déficit américain d’environ 300 milliards de dollars, il est vite apparu que cette guerre fournissait le prétexte idéal pour tenter d’empêcher la Chine d’avoir accès aux technologies de pointe qui, dans le contexte de son projet Made in China 2025, visaient à la rendre totalement autonome pour la production de ces technologies. L’arrestation au Canada de Wang Menzhou, fille du fondateur de Huawei et directrice financière de l’entreprise, accusée d’avoir violé les sanctions américaines envers l’Iran, visait à mettre le couteau sous la gorge de la Chine, tout comme les accusations d’internement de millions de ouïghours dans le Xinjiang et la révolution de couleur organisée à Hong Kong.

Malgré tout cela, un premier accord commercial a été signé fin 2019, que les deux pays ont reconnu comme étant un accord d’étape, et qui est toujours en vigueur aujourd’hui, en dépit de la dégringolade des relations récente.

C’est la pandémie de Coronavirus avec son terrible impact sur les économies, et en particulier l’américaine, ainsi que sur les élections présidentielles à venir, qui semblent avoir fait basculer l’administration totalement dans la folie maccarthyste que nous constatons partout. Car, la seule façon de gagner une élection présidentielle aux Etats-Unis serait, nous dit-on, outre le fait d’avoir un trésor de guerre de plusieurs milliards de dollars, d’assurer que la Bourse, principale source de revenus supplémentaires pour les Américains, monte. Or, ni la crise financière, ni la crise sanitaire, sortie de tout contrôle due à la gestion chaotique de la pandémie par l’administration, ne sont de nature à rassurer l’électorat. Dans la panique créée dans le camp présidentiel par cette situation, ce sont les Ministres va-t-en-guerre, Mike Pompeo au Secrétariat d’État, Mark Esper à la Défense, Robert O’Brien à la Sécurité nationale, qui ont réussi à imposer leur ligne. Et elle est simple : tout cela est dû à la Chine, au virus de Wuhan ! Certains vont jusqu’à assurer que c’est seulement en tapant sur la Chine que le camp du Président, très loin de Biden dans les sondages, pourrait récupérer des voix supplémentaires dans le camp démocrate, où la haine contre la Chine est encore pire que chez les Républicains !

L’escalade

Depuis, c’est l’escalade sur tous les fronts. Aux Etats-Unis, le 16 juillet, le ministre de la Justice William Barr lançait de violentes accusations contre la Chine lors d’un discours à l’Université du Michigan, où sont intervenus également Mike Pompeo et Robert O’Brien, conseiller à la Sécurité nationale de Donald Trump. Dépassant l’hystérie de l’époque du maccarthysme, Barr a accusé la Chine de « chercher à utiliser la puissance immense, la productivité et l’ingéniosité du peuple chinois pour renverser le monde fondé sur des règles afin de créer un monde où les tyrans pourraient agir librement ». Il s’agit, bien évidemment, des « règles » occidentales. Se servant du vocabulaire des nazis, Barr a comparé le projet Ceinture et Route à un « blitzkrieg économique  », et à une campagne « agressive, orchestrée … pour saisir les rênes du pouvoir de l’économie globale et d’outrepasser les Etats-Unis en tant que principale super-puissance du monde ».

Ensuite, il y a eu la décision de Trump d’éliminer le statut spécial de Hong Kong, en représailles à l’introduction par la Chine d’une Loi sur la sécurité nationale dans l’île, qui, prétendent-ils, viole le statut libéral de Hong Kong, géré par l’accord « Un pays, deux systèmes ». Ce traitement économique spécial avait été accordé à Hong Kong, suite à sa dévolution à la Chine en 1997, sous condition que les principes d’économie libérale y soient respectés jusqu’à son intégration totale à la Chine en 2049. Or, la loi de sécurité nationale de la Chine, ne concerne que quatre domaines bien spécifiques où en tant qu’Etat souverain elle a parfaitement le droit d’intervenir : séparatisme, subversion, terrorisme et ingérence étrangère.

Au niveau économique le forcing s’est concentré sur le groupe Huawei. Les alliés américains en Europe ont été mis sous pression pour interdire au groupe Huawei toute participation aux réseaux de la 5G. Robert O’Brien a été déployé en Europe, la semaine du 11 juillet, pour y rencontrer ses homologues français, britannique, allemand et italien, explicitement pour « traiter » de la Chine. Après Paris, c’est Pompeo qui a pris la direction de Londres, mettant le Premier ministre, Boris Johnson, sous pression pour qu’il accepte de bannir Huawei de sa 5G, ce qu’il a fait. Voilà un bel exemple de la compétition entre grandes puissances qui a pu exister durant la guerre froide, façon 2020.

Enfin, l’offensive américaine tente par tous les moyens de briser l’alliance entre la Russie et la Chine qui n’a cessé de se renforcer depuis la campagne menée par l’OTAN contre Poutine, suite à la réintégration de la Crimée à la Russie. C’est à l’occasion du nécessaire renouvellement du traité New Start des limitations des armements stratégiques, dont l’échéance arrive en février 2021, que les États-Unis ont dévoilé leur stratégie : ils mettent comme condition à leur renouvellement que la Chine rejoigne ce traité. Jusqu’ici, cela n’a concerné que les Etats-Unis et la Russie, en raison du nombre très important de missiles stratégiques qu’ils détiennent chacun (plus de 5000 têtes nucléaires), comparés aux autres puissances nucléaires (environ 300 pour la Chine). Ils exigent plus : que la Russie fasse pression sur la Chine pour y participer ! La Chine, tout comme la France, dont les armements nucléaires sont limités à la juste suffisance pour dissuader toute attaque sur leur sol, ont toujours refusé de rejoindre ces discussions.

Un sommet des pays du P5 de l’ONU pour sauver la paix

Cette escalade, renforcée encore par des incursions militaires multiples des Etats-Unis en Mer de Chine, où la Chine avait réussi à calmer les enjeux des revendications des uns et des autres par la voie de la négociation, prend de plus en plus la forme d’un déploiement précédant une vraie guerre.

C’est bien ce qu’ont compris les plus hauts responsables de la Russie et de la Chine qui ne cessent de se consulter et d’afficher leur solidarité, rejetant toute forme d’unilatéralisme. Au cours d’un échange téléphonique le 17 juillet, le Ministre des affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, et son homologue Wang Yi, ont eu les mots les plus durs pour dénoncer l’escalade dans la guerre froide des Etats-Unis. Pour Wang Yi « Washington a perdu la raison ». Face à ces dérives, les deux hauts responsables ont confirmé leur ferme soutien « l’un envers l’autre » et leur volonté de « renforcer leur coordination stratégique dans les grandes affaires internationales et régionales ».

Le 8 juillet, c’étaient les présidents Poutine et Xi Jinping qui avaient échangé par téléphone. Pour le Président Xi Jinping, cité par CGTN, « la Chine et la Russie, des partenaires stratégiques sur tous les plans, ont besoin de maintenir une communication stratégique et une coopération rapprochée dans une situation internationale évoluant très rapidement. Il a ajouté que la partie chinoise continuera à travailler avec la partie russe pour garantir un soutien ferme de l’une envers l’autre, rejetant tout sabotage ou intervention extérieur, assurant la sauvegarde de leur souveraineté nationale, (…) et soutenant leurs intérêts communs. Le Président Poutine a aussi rassuré le président chinois, notant que les relations bilatérales sont au plus haut point et que les relations diplomatiques avec la Chine sont la priorité pour la Russie. »

Face à cette dégradation rapide de la situation, comme le souligne Helga Zepp-LaRouche, présidente de l’Institut Schiller, seule une approche au plus haut niveau permettra de calmer le jeu et de rétablir une vraie vision d’un futur partagé pour l’humanité. Le sommet proposé par le président Poutine voici plusieurs mois, rassemblant les présidents des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU : Etats-Unis, Russie, Chine, France et Royaume-Uni, est l’occasion pour initier ce dialogue. Tous les cinq ont déjà donné leur accord pour participer. A condition de laisser la géopolitique au vestiaire, et de concentrer leur discussion sur l’effort international gigantesque qu’il faudra fournir pour faire face à la COVID et à ses répercussions économiques, et pour rétablir le monde sur les rails d’une vraie croissance inspirée du New Deal de Franklin Roosevelt et des 30 glorieuses françaises, une possibilité existe de changer la donne.