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Jacques Sapir : les BRICS s’apprêtent à créer leur propre système financier

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Christine Bierre
Éditrice-en-chef du journal Nouvelle Solidarité

S&P—Le 30 juin, lors d’un entretien avec André Bercoff, sur Sud-Radio, l’économiste Jacques Sapir, qui dirige depuis des années un séminaire économique franco-russe de haut niveau, avait beaucoup à dire sur la guerre en Ukraine, la stupidité des Européens et les mouvements de plaques tectoniques que le conflit est en train de provoquer dans l’ordre mondial au détriment du G7.

Précisons d’abord que, sous la direction de la Chine cette année, les BRICS (groupe des pays composé du Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, font un retour en force sur la scène internationale, avec trois vidéo-sommets qui se sont déroulés du 22 au 24 juin à Beijing, confirmant l’émergence d’un BRICS + pouvant accueillir progressivement d’autres pays, dont l’Argentine et l’Indonésie, qui ont déjà fait acte de candidature.

Sur cette question, Jacques Sapir a évoqué leur projet de créer une alternative au système du FMI ainsi que le sujet de plus en plus discuté d’une dédollarisation du monde.

" Nous parlons de deux choses différentes : l’une est la préoccupation exprimée même par le FMI à ce stade, d’une possible crise systémique du système monétaire international (...). L’un des directeurs du FMI [Pierre Olivier Gourinchas] a dit que ce sont les mesures adoptées par les Américains et les puissances occidentales, telles que la confiscation des avoirs de la Banque centrale russe, qui sont une telle source de préoccupation pour les autres pays, qu’elles pourraient les amener à quitter en masse le système du dollar, par crainte que la même chose ne leur soit faite. (...) La deuxième, poursuivit l’économiste, est que depuis quelques années, les pays du BRICS réfléchissent (...) à une alternative au FMI. Ils commencent à créer l’équivalent d’un instrument tel que les Droits de tirage spéciaux (DTS) [1], qui rendrait possible aux pays membres d’emprunter à ce nouveau fonds, (...) en dehors du dollar et des monnaies qui lui sont actuellement attachées (l’euro, la livre sterling) et d’utiliser cela pour leurs investissements, soit pour résoudre des crises de liquidité à court terme, soit pour investir à long terme."

Il a également noté qu’il n’y a pas de discussion entre les BRICs pour créer une banque centrale, mais a admis qu’« à long terme, tout cela signifie la fin du monopole du dollar ».

Jacques Sapir a ensuite réagi à la futilité de certaines sanctions, telles que l’interdiction d’acheter de l’or russe, en notant que

1. seules la vente de « nouvelles » extractions est interdite, pas l’or déjà extrait — mais peut-on faire la différence entre les deux ? et

2. le marché de l’or est dominé par des acteurs asiatiques, la Chine et Singapour en particulier, qui sont hostiles aux sanctions américaines. Cette mesure est donc une simple gesticulation.

Enfin, il a décrit l’énorme dépendance des Européens non seulement à l’égard du pétrole russe, mais aussi d’un grand nombre de produits semi-finis tels que le diesel et les engrais phosphatés, qui ne sont plus du tout produits en Europe, en raison de problèmes environnementaux, et sont désormais massivement produits par la Russie.

Il a également évoqué les sanctions interdisant aux pays de vendre des microprocesseurs à la Russie, et la contre-attaque de la Russie qui a, en retour, bloqué les ventes de gaz rares tels que l’argon et le néon, utilisés dans la production de microprocesseurs ! Selon lui, des négociations discrètes seraient en cours, de part et d’autre, pour poursuivre les échanges sur ces types de produits.

Enfin, commentant les déclarations tonitruantes du ministre français de l’Economie, Bruno Le Maire, au début du conflit en Ukraine, promettant à la Russie et au peuple russe de les détruire au moyen d’une guerre économique, M. Sapir a relevé que c’est plutôt la France qui se trouve écrasée.

« La situation économique de notre pays se dégrade depuis le début de l’année », a-t-il déclaré, rappelant que la croissance au premier trimestre était de zéro, alors qu’un seul mois avait été concerné par la guerre. Les problèmes économiques de la France datent d’avant la guerre, celle-ci n’a fait que les accélérer. L’inflation est, elle aussi, « antérieure à la guerre ».

Tout cela a conduit la Banque de France à revoir à la baisse ses projections pour le deuxième trimestre 2022 et l’année 2023, et le gouvernement vient d’en tenir compte en réduisant les perspectives de croissance à seulement 2 % en 2022. L’INSEE, pour sa part, va plus loin : « Un de ses scénarios est que la croissance cette année sera de 0,5 % et qu’en 2023, l’économie sera en véritable récession, avec peut-être un -2,5 % ou un -5 %. »




[1Le DTS est un avoir de réserve international créé en 1969 par le FMI pour compléter les réserves de change officielles de ses pays membres.