Committee for the Republic of Canada
Comité pour la République du Canada
www.committeerepubliccanada.ca / www.comiterepubliquecanada.ca

 

Dossiers

L’humanité en danger
Nourriture pour la paix : doublons la production mondiale !

par Helga Zepp-LaRouche

12 mai 2008

JPEG

Helga Zepp-LaRouche Founding Member of the International Schiller Institute

Le krach financier se transforme en krach alimentaire et risque de provoquer le chaos et la disette à travers le monde. Déjà, deux milliards de personnes sont privées de sécurité alimentaire et neuf cents millions souffrent de malnutrition. Faute d’instaurer un nouveau système financier international et d’accroître d’une façon spectaculaire la production de denrées alimentaires, la logique prédatrice du libre-échange deviendra une logique cannibale.

Les conditions d’une catastrophe sans précédent pour l’humanité sont déjà réunies, et il serait fatal pour le monde entier si l’on n’en venait pas à reconnaître, dans les jours et les semaines à venir, la faillite de la mondialisation et à mettre en oeuvre tous les moyens pour doubler au plus vite la production agricole.

Car il y a urgence. Depuis octobre 2007, des émeutes de la faim ont éclaté dans plus de quarante pays et d’après le directeur général de la Banque de développement asiatique, Rajat Nag, l’envolée des prix alimentaires menace déjà un milliard d’Asiatiques, auxquels il faut ajouter un autre milliard en Afrique, en Ibéro-Amérique et parmi les pauvres d’autres continents. Pourtant, selon son directeur Jacques Diouf, la FAO n’a même pas réussi à trouver 10,9 millions d’euros pour permettre aux paysans des pays en voie de développement d’acheter des semences.

Les pays riches ne sont pas disposés à venir en aide à ces pays avec de l’argent, des semences et des investissements infrastructurelles, affirmait Jacques Diouf à Brasilia, lors de la conférence régionale de la FAO pour l’Amérique latine.

Jean Ziegler, le rapporteur spécial à l’ONU pour le Droit à la nourriture, a soulevé un autre aspect de la crise : l’utilisation des produits alimentaires pour « la course au agro-carburants », qu’il qualifie de « crime contre l’humanité ». Pour nous permettre de remplir nos voitures de carburant écologique, dit-il, des gens dans le tiers monde doivent endurer la faim.

Et ce n’est qu’un début. En effet, tant que les pays dits riches maintiendront cette politique, c’est-à-dire le libre-échange anarchique de l’OMC, de la Commission européenne, etc., les cartels agro-alimentaires et les spéculateurs tenteront, dans ce contexte de crise systémique du système financier mondial, de maximaliser leurs profits et d’encourager la montée des prix, sans le moindre profit pour les agriculteurs.

Si les banques centrales continuent à renflouer à tout va, grâce aux deniers publics, les banques privées qui ont subi d’énormes pertes en spéculant, cela débouchera très vite sur une hyperinflation bien pire que celle de l’Allemagne de Weimar en 1923, mais cette fois à l’échelle mondiale. Les émeutes de la faim s’étendront alors comme feu de brousse, jusqu’à ce que, de deux choses l’une : soit l’humanité sombre dans une ère de chaos, de guerre et de mortalité triomphante, soit on rétablit le droit à la justice et à une vie décente pour tous les hommes de la planète.

L’ONU prévoit actuellement une croissance démographique de 33% d’ici 2050, ce qui fait que la population passera d’environ 6,7 milliards d’individus à quelque 9 milliards. Les besoins en nourriture augmenteront donc en conséquence. Et compte tenu des quelque deux milliards de personnes sous-alimentées, doubler la production de nourriture apparaît un objectif raisonnable.

La pensée oligarchique

On pourrait difficilement trouver un problème qui dévoile mieux que celui-ci les axiomes de la pensée oligarchique. Selon le point de vue américano-eurocentrique, la croissance démographique est une menace, et les défis à venir s’appellent émigration massive des pauvres et lutte pour des ressources en contraction.

Ce point de vue a été défendu, entre autres, par le directeur de la CIA, Michael Hayden, dans un récent discours à l’université du Kansas, dans lequel il affirmait que cette croissance démographique se produirait principalement dans les pays d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient, qui n’ont pas la capacité d’accueil pour autant de gens. Par conséquent, conclut-il, le danger de violences, d’émeutes et d’extrémisme augmente.

On retrouve les mêmes axiomes dans le document stratégique élaboré par cinq anciens chefs d’état-major (Towards a Grand Strategy for an Uncertain World : Renewing Transatlantic Partnership, cf. Nouvelle Solidarité du 4 avril 2008) pour qui le premier des six principaux défis pour la communauté mondiale n’est autre que la croissance démographique.

Selon eux, elle fait peser une « vaste » menace sur la prospérité, la bonne gouvernance et la sécurité énergétique du monde. Cette conception néo-malthusienne et impériale se situe dans le droit fil du tristement célèbre mémorandum américain sur la sécurité nationale, le NSSM 200 de 1974, signé par Henry Kissinger, qui affirme en substance que l’accès aux matières premières constitue un intérêt sécuritaire stratégique primordial pour les Etats-Unis.

Le fait est que le modèle oligarchique néolibéral, qui a systématiquement orienté le monde vers un libre-échange sauvage (en particulier à partir du démantèlement du système de Bretton Woods de parités fixes entre les devises, opéré par Richard Nixon, Henry Kissinger et George Shultz le 15 août 1971) s’est avéré un échec patent. Le changement de paradigme consistant à abandonner la production en faveur de la spéculation, ainsi que la création incontrôlée de crédit sur des marchés offshore comme les îles Caïman (aujourd’hui siège d’un bon pourcentage des hedge funds du monde), ont ouvert la voie à l’économie de casino que nous déplorons aujourd’hui.

Accords de libre-échange

Nous ne citerons ici que quelques aspects saillants de cette évolution :

  • la création du marché de l’eurodollar et le choc pétrolier de 1974 ;
  • le renforcement de la politique des « conditionalités » du FMI à partir de 1975 ;
  • les attaques contre les « tendances mercantilistes » dans les pays en voie de développement ;
  • la hausse des taux d’intérêt par Paul Volker en 1979 ;
  • la « reaganomics » et le thatchérisme dans les années 80 ;
  • le processus de fusions et d’OPA hostiles ;
  • les « instruments de crédit créatifs » introduits par Alan Greenspan après le krach boursier de 1987 ;
  • la mondialisation effrénée suite à la désintégration de l’Union soviétique en 1991 ;
  • les délocalisations vers les pays à main-d’oeuvre bon marché.

C’est dans ce contexte que se situe la crise alimentaire actuelle. La Politique agricole commune (PAC) du Marché commun européen, établie en 1957, avait pour objectif de fournir aux populations des produits alimentaires à prix raisonnables, tout en assurant aux agriculteurs un revenu convenable et en accroissant la production, mais depuis le début de la mondialisation effrénée, d’autres critères se sont imposés.

Avec la réforme de la PAC en 1992, le système a été mis en pièces car les agriculteurs, disait-on, devaient être « compétitifs » sur le marché mondial. En réalité, de plus en plus d’exploitations furent ainsi condamnées.

Tout ceci a été aggravé par l’Uruguay Round, le dernier cycle de négociations du GATT, où, pour la première fois, les règles de la production agricole n’étaient plus discutées en termes de sécurité alimentaire, mais soumises aux diktats du libre-échange et, partant, de la maximalisation des profits pour les cartels.

Depuis, des millions d’exploitations agricoles ont fait faillite et la cartellisation a pris des formes extrêmes, à telle enseigne que les semences, domaine vital s’il en est, sont contrôlées par seulement trois sociétés !

En 1995, le GATT, qui était un accord multilatéral entre Etats, a été supplanté par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), une bureaucratie supranationale disposant d’importants pouvoirs indépendants, ce qui s’est traduit par plus de dérégulation, la réduction des « obstacles » à la libre concurrence, comme les tarifs douaniers, et l’« harmonisation » des normes des pays membres. Là aussi, les principaux gagnants de ces mesures furent les cartels agro-alimentaires. Désormais, des commissions d’experts totalement anonymes ont le droit d’infliger des amendes pour « violation des règles de la libre concurrence », sans avoir de comptes à rendre à de quelconques électeurs.

Dans l’Union européenne, l’Agenda 2000 et la réforme agricole de 2005 ont provoqué la disparition des excédents et des réserves alimentaires.

Au lieu de fixer des prix à la production justes et suffisants pour couvrir les coûts, on a versé des indemnités compensatoires pour la mise en jachère de terres cultivables et pour des mesures « écologiques » complètement arbitraires. La tendance à éliminer des exploitations familiales en faveur des géants agricoles s’est accélérée. L’ancienne ministre allemande de l’Agriculture Künast et le commissaire Fischler avaient raison de qualifier cette réforme de « changement de système ». Fischler a observé que les réductions de prix se traduiraient par une agriculture moins intensive, car les agriculteurs n’auraient plus assez d’argent pour acheter pesticides et engrais. Pour certains qui ont opté pour des cultures destinées aux biocarburants afin d’obtenir des subventions de l’UE, leur situation financière s’est peut-être améliorée à court terme, mais avec les conséquences que l’on sait.

Pendant que les pays industriels réduisaient leurs capacités, les pays en développement se voyaient contraints d’exporter de la nourriture à bas prix afin de se procurer des devises pour rembourser leur dette extérieure, même si leur propre population ne mangeait pas à sa faim. Aujourd’hui, la faillite économique et morale de ce système de libre-échange britannique est évidente.

Heureusement, il existe une certaine résistance à cette politique génocidaire de l’OMC et de l’UE. Le ministre français de l’Agriculture, Michel Barnier, et le ministre allemand de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Protection du consommateur, Horst Seehofer, ont engagé une lutte directe avec Bruxelles ces dernières semaines. Le premier a lancé une campagne en défense de la Politique agricole commune, dont l’abolition est réclamée par les fanatiques du libre-échange. Le ministre français a qualifié l’idée selon laquelle les pays les plus pauvres devraient exporter de la nourriture vers les pays riches de « déni de la réalité », car « cette politique a ruiné l’agriculture de subsistance et les productions locales ». Il propose au contraire un système de prix paritaires pour l’Afrique, l’Amérique latine et l’Asie.

Que faire ?

Face à cette faillite meurtrière, une seule réponse est possible : une mobilisation mondiale pour doubler la production agricole.

  • L’OMC doit être dissoute, immédiatement. D’ici la conférence de l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), du 3 au 5 juin à Rome, tous les moyens doivent être mis en oeuvre, en innovant, pour lui permettre de lancer un programme à marche forcée en vue d’augmenter la production agricole. Il faut, en même temps, lancer une nouvelle « révolution verte » ainsi que des mesures, à moyen terme, pour mettre en place les infrastructures de base et développer l’industrie agro-alimentaire dans les pays en voie de développement, ainsi que la gestion de l’eau.
  • L’instauration d’un nouvel ordre économique mondial juste doit être l’ordre du jour. Face à l’importance absolue de cette question pour l’avenir de l’humanité, on doit convoquer une conférence extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies pour en discuter.
  • Une conférence des chefs d’Etat doit être organisée d’urgence afin d’instaurer un nouveau système de Bretton Woods et un New Deal dans l’esprit de Franklin Roosevelt à l’échelle du monde entier, établissant un nouveau système financier qui favorise le développement de toutes les nations. La mise en oeuvre du « Pont terrestre eurasiatique », comme pierre angulaire de la reconstruction de l’économie mondiale, doit également être décidée.

Droits inaliénables

Dans la Déclaration d’Indépendance américaine, que l’Institut Schiller adopta comme charte lors de sa création en 1984, en changeant quelques mots pour lui donner une portée internationale, il est dit :

« Nous considérons que ces vérités sont évidentes : que tous les hommes sont créés égaux, qu’ils sont dotés par leur Créateur de certains Droits inaliénables, parmi lesquels il y a la vie, la liberté et la recherche du Bonheur ; que pour s’assurer ces droits, les hommes constituent des gouvernements, qui dérivent leurs justes pouvoirs du consentement des gouvernés ; que chaque fois qu’une forme de gouvernement en vient à détruire ces fins, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir et d’instituer un nouveau gouvernement, établissant ses fondations sur de tels principes et organisant ses pouvoirs de telle façon qu’ils paraissent en mesure d’amener leur sûreté et leur bonheur. »

Cette déclaration des droits humains doit s’appliquer aujourd’hui encore, et à tous les hommes de cette planète. Nous avons besoin de gens qui défendent avec amour l’idée d’un ordre mondial juste, dans lequel la communauté internationale puisse vivre ensemble dans la paix et la dignité.

La vie, la liberté et la recherche du bonheur signifient, avant tout, que tous les hommes aient assez à manger et que la pauvreté soit éradiquée, ce qui est tout à fait dans nos possibilités technologiques. Allons-nous réaliser ce dessein ou laisser sombrer l’humanité, c’est à cette aune que l’histoire jugera chacun d’entre nous.

Vous pouvez apportervotre signature en vous inscrivant directement sur le site de l’Institut Schiller.