Editorials of / Editoriaux de Gilles Gervais
Glass-Steagall
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La véritable ’dette odieuse’

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En 1927 le juriste russe Alexander Nahun Sack [1] écivait :

« La raison pour laquelle ces dettes odieuses ne peuvent pas être laissées à l’État est que de telles dettes ne remplissent pas l’une des conditions qui détermine la légalité des dettes de l’État c’est-à-dire : les dettes de l’État doivent être contractées et les fonds extraits pour les besoins et dans l’intérêt de l’État. Les dettes odieuses, contractées et utilisées à des fins qui, à la connaissance des créditeurs, sont contraires aux intérêts de la nation, n’engagent pas cette dernière  ».

Sack avait élaboré ce concept de dette « odieuse » afin d’empêcher qu’un gouvernement honnête et soucieux du bien-être de sa population ne soit pas pris en otage et soit obligé de rembourser la dette illégitime et immorale contractée par une dictature despotique au pouvoir précédemment.

Dans le cas du présent gouvernement argentin de la présidente Cristina Fernandez de Kirchner, il est clair que son combat contre les fonds vautours qui a su rallier 80% des gouvernements de la planète à sa juste cause, est fondé sur le droit international, hérité des traités de Westphalie et exprimé dans la Charte des Nations unies.

La responsabilité de paiement de la dette achetée à rabais par le fonds vautour NMCapital pour la somme de 48.7 millions de dollars US et qui exige maintenant un remboursement de 832 millions de dollars US, soit un taux de profit de 1608% n’incombe pas au gouvernement argentin. Qu’a fait NMCapital au juste pour « les besoins et l’intérêt  » de l’État argentin qui lui donnerait un droit de vie ou de mort sur le peuple argentin ?

La présidente Cristina Fernandez de Kirchner avait pour sa part déclaré dans un discours télévisé, le jour même où la Cour suprême des États-Unis annonçait sa décision en faveur du fonds vautour, qu’«  aucun président d’une nation souveraine ne peut soumettre son pays et son peuple à l’extorsion  ».

Cette décision ne l’a pas surprise : « Je m’y attendais (…) parce qu’il ne s’agit pas d’un problème économique ou financier, ni même juridique. » La Cour suprême a défendu « une forme de domination globale des produits financiers dérivés qui entend mettre les nations à genoux  ». Si ce modèle économique international continue à sévir, a-t-elle prévenu, des « tragédies inimaginables se produiront  ». Ce modèle est alimenté par « le sang, la faim et l’exclusion de millions de jeunes dans le monde qui sont sans emploi, sans accès à l’éducation  ».

Son gouvernement a renégocié sa dette de façon responsable, a remboursé ses créanciers et continuera à le faire, mais il ne cédera pas aux fonds vautours a-t-il prévenu.

Le véritable système américain d’Alexandre Hamilton

Lyndon LaRouche lors de son allocution sur l’État de l’Union en janvier 2011 déclarait :

« …Une dette honnête envers l’avenir ne peut être payée qu’à travers l’honnête création à l’avenir d’une richesse physique équivalente, ce qui inclus le développement des pouvoirs créateurs de chaque citoyen, de chaque enfant et de chaque adolescent.

« Les dettes générées par un système de crédit sont remboursées par la prolificité de la production future ; c’est ce qu’avait déjà compris les Winthrop et les Mather de la colonie du Massachusetts. De telles dettes requièrent que le gouvernement limite leur accumulation à la part efficiente de son engagement à promouvoir la production. Légalement, elles ne peuvent être contractées que sur la base de la création accrue de richesse physique et de la croissance de la productivité physique de la nation. Toutes dettes contractées sous le coup de la spéculation financière n’ont aucune légitimité aux yeux d’un gouvernement.

« Voilà comment décrire avec des mots simples le grand principe d’Hamilton que l’on retrouve dans l’intention implicite du préambule de notre Constitution.

« Les dettes sont bonnes lorsqu’elles sont conçues pour l’être, comme dans le cas d’un système de crédit qui repose sur l’engagement à accroître la création nette de richesse par personne et par kilomètre carré du territoire d’une nation. »

Aujourd’hui la situation mondiale est telle que soit nous liquidons les dettes spéculatives et odieuses avec une loi Glass-Steagall, soit ce sont elles qui nous liquiderons sous forme d’austérité fasciste sponsorisée par les intérêts financiers de la City et de Wall Street.

C’est ce que le Ministre des Travaux publics du Guyana Robeson Benn a compris alors qu’il a appelé le continent américain à débattre de l’impérative nécessité de rétablir le Glass-Steagall Act de 1933. Le ministre Benn a lancé cet appel lors d’une réunion d’urgence des Ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’Organisation des États américains (OEA) réunis à Washington le 3 juillet dernier pour élaborer une position commune face à l’attaque des fonds vautours contre l’Argentine.

Le discours de Benn était la dernière intervention précédent le vote des États membres pour déterminer la position de l’OEA sur cette question. La vaste majorité des représentants a voté par acclamation en faveur d’une résolution soutenant les efforts de l’Argentine pour arriver à «  un accord juste, équitable et légal avec 100 % de ses créditeurs  », et exprimant «  son soutien complet pour arriver à une solution qui vise à faciliter le service de la dette souveraine de l’Argentine  ».

Seuls les États-Unis et le Canada ont voté contre.

C’est à cette même réunion que le ministre des Affaires étrangères du Venezuela Elias Jaua a pour sa part rappelé que le ministre des Affaires étrangères argentin Luis Maria Drago (1859-1921) avait écrit en 1902 à son ambassadeur aux États-Unis pour dénoncer le blocus des ports vénézuéliens par des navires allemands, italiens et britanniques dans le cadre d’un effort pour collecter la dette.

Ceci est devenu la « Doctrine Drago », définissant le principe selon lequel aucun créditeur ne peut collecter une dette aux dépens de l’existence, de la souveraineté et de l’indépendance d’un pays. La lettre citait le premier secrétaire au Trésor américain Alexander Hamilton, affirmant que des contrats entre un pays et des individus privés «  ne peuvent faire l’objet de l’usage de la force  ».

Jaua a terminé son discours en demandant la mise en place d’un nouveau système financier international :

Voilà pourquoi nous sommes venus, 112 ans après cette lettre du valeureux ministre Drago, au nom de notre gouvernement et de notre peuple pour dire que l’Argentine ne peut être forcée de payer dans des conditions inacceptables une dette qui est immorale et qui présente des signes manifestes d’illégalité. (…) Ce qui arrive aujourd’hui à l’Argentine nous arrivera à nous tous... Ministres, faisons plus que de simplement lancer un appel. Donnons-nous pour tâche de redéfinir de toute urgence le système financier international.

Depuis cette réunion de l’OEA du 3 juillet, les BRICS se sont ralliés à la cause de l’Argentine et se sont dotés de nouvelles institutions financières orientées vers le futur et le respect de la souveraineté des nations. Celles-ci seront appelées à remplacer les institutions originales du système de Bretton Woods qui ne peuvent plus désormais assurer une paix mondiale basée sur un développement mutuel des états-nations, mais qui sont réduites à n’engendrer qu’austérité et conflits militaires pour le compte d’un empire financier agonisant centré à Londres et à Wall Street.

Il est désormais la responsabilité de tout citoyen d’étudier et d’assurer le succès de cette nouvelle initiative. La première mesure nécessaire doit-être le passage immédiat d’une loi Glass-Steagall au niveau de chaque pays et, par la suite, trois autres mesures qui pourront de façon unique garantir le succès du modèle Hamiltonien à l’échelle internationale.

Gilles Gervais


[1Alexander Nahum Sack : Les Effets des transformations des États sur leurs dettes publiques et autres obligations financières : traité juridique et financier, Recueil Sirey, 1927.